Mariage pluvieux mariage heureux, dit-on. À en juger par la pluie qui s'annonce les jours prochains, l'union très proche de ces deux individus devrait être bénie d'Amedë elle-même. Le ciel est gris, lourd, et si les plus grosses gouttes ont -temporairement- cessé de tomber, ce n'est que pour laisser place à un brouillard épais et oppressant que la population d'Ossam affectionne pour la discrétion qu'il permet face aux forces de l'ordre se faisant plus zélées depuis l'arrivée du nouveau Seigneur.

Si, ces cinq dernières années, le nom de Dor'magar a déjà fait grincer bien des dents après qu'il ait brusquement tourné le dos à la piraterie, c'est à présent celui que l'on maudit sans cesse dans cette ville qu'il investit sans demi-mesure. Les patrouilles des hommes de l'Amiral se sont multipliées, se font plus violentes et plus ciblées qu'elles ne l'ont jamais été, atteignant les fruits pourris avec une précision aisément imputée à l'expérience de l'ancien pirate. Celui qui se battait jadis à leurs côtés, ayant envoyé par le fond bon nombre de frères d'armes des hommes qu'il dirige maintenant, se trouve aujourd'hui l'ennemi le plus virulent des forbans de Gwelnaur, dont il a la lourde tâche de régner sur les mers au nom de la couronne rouge et or. Sans se soucier d'honneur, pas plus que de compassion pour ceux qu'il a connus, il semble dénué de toutes les convictions qui l'avaient animé jusqu'à son brusque revirement et qu'il piétine abondamment à chaque gorge qu'il fait trancher, à chaque navire qu'il fait couler. Mais les pirates se foutent bien de ce qui a pu le transformer en cette Nemesis. Tout ce qu'ils voient, c'est un traître sans fierté ayant vendu son âme pour le prestige d'un titre et des draps de satin. Et peut-être ont-ils raison.

« Dame Aryefis est arrivée, mon Seigneur... »

Dans l'entrebâillement de la lourde porte en bois, la tête d'une domestique fluette qui ose à peine mettre un pied dans l'étude où se trouve le maître qu'elle est venue chercher. Ce dernier, assis à son bureau, étudie pour la énième fois de la journée la carte d'Ossam déjà ornée d'une multitude de croix rouges indiquant les descentes fructueuses ayant déjà eu lieu. Les quelques points au fusain gris qu'il y ajoute déterminent celles qui seront menées le soir même.

« Qui ça ? » répond l'Amiral sèchement, ne daignant pas lever les yeux du plan de la ville, pas plus qu'il ne cherche à réellement entendre ce nom qu'il ne connaît aujourd'hui que trop bien.
« Votre... fiancée ? » Le regard s'élève, finalement, brusquement vers la malheureuse domestique qu'il foudroie d'un air noir.
« Et alors ? Qu'est-ce qu'elle attend pour se ramener ici ? » Des yeux ronds pour toute réponse, et la jeune femme disparaît dans le claquement nerveux de sa course dans l'escalier en pierre descendant au rez-de-chaussée, laissant derrière elle un Seigneur aux mains crispées sur le papier sur lequel il reporte son attention, du mieux qu'il le peut.

Voilà presque une lune que cette femme est apparue dans sa vie, pleine d'ambitions et d'intérêt pour sa propre personne et pour sa foutue notoriété, plutôt que dans un mariage de sentiments. Bien qu'étant venue dans l'optique de le séduire et de le plier à ses désirs de pouvoir et d'influence, le gouffre entre leurs personnalités s'est finalement montré bien trop grand et a eu tôt fait de faire tomber les masques, ne laissant d'autre choix que celui de la franchise qui fut loin de prendre l'Amiral au dépourvu. Sans doute avait-elle entendu des bruits de couloirs à la capitale évoquant le désir de ce dernier de trouver épouse au sein de la noblesse afin de se hisser, une bonne fois pour toutes, au sommet de ses propres ambitions. Peut-être ne sont-ils pas si différents, finalement. Et sans doute est-ce la raison pour laquelle ils ont rapidement convenu de leurs fiançailles.

Pourtant, malgré l'heureux événement ne se tenant que dans quelques jours, l'amertume ne quitte pas le Seigneur d'Ossam. Bien que résigné à se lier, pour la vie, à cette femme dédaigneuse et aussi peu scrupuleuse que lui, il n'en garde pas moins un sentiment d'obligation qui ne lui sied que très peu. Elle n'est, pour lui, pas un moyen de s'élever, mais bien un mal nécessaire. Et il le lui fait clairement comprendre dans le manque total de respect, sans nul doute volontaire, dont il fait preuve à son égard et qui l'amène à rester cloué dans son siège lorsqu'il entend à nouveau des bruits de pas lui parvenir de l'autre côté de la porte. Il le sent, ce parfum de rose. Il le reconnaît déjà et sait très bien de quelle peau immaculée il émane. Et, les yeux toujours fixés sur ce plan qu'il ne regarde plus vraiment, il l'ignore.

@Nikaia Aryefis & @Simak Dor'magar 

Pando

La fragrance terrestre s'impose à l'odorat du marin bien trop habitué à l'odeur iodée du large et à celle, ferreuse, des combats. Ignorer la présence de sa promise est une tâche ardue qu'il s'évertue néanmoins à effectuer par principe, parce qu'il lui en reste bien quelques uns. Et celui de renoncer à sa liberté en s'unissant par pur intérêt le contrarie au moins autant qu'il le laisse paraître à sa jeune fiancée en ne daignant pas l'accueillir dans les formes. Il ne s'est jamais encombré de l'étiquette et des bonnes manières que beaucoup ont été à attendre de lui lors de son arrivée dans la vie politique de Gwelnaur, ce n'est donc pas aujourd'hui qu'il fera le moindre effort pour se montrer ne serait-ce que cordial face à sa future femme.

Le regard rivé sur le plan qu'il tient toujours, un fusain dans une main qu'il fait taper frénétiquement sur le bois du massif bureau de bois sur lequel il s'accoude sans la moindre distinction, il cherche encore à reprendre le fil de ses pensées, à la chasser elle de son esprit, bien qu'il sache cette idée aussi vaine qu'irréaliste. L'arrangement qu'ils ont convenu est de son fait autant que de celui de celle dont il sent le regard peser sur lui depuis l'encadrement de la porte. La blâmer elle, c'est le blâmer lui-même. Et, pourtant, une rancœur certaine lui étreint les tripes à l'idée même de partager le restant de son existence avec cette femme. Parce que son dédain et son orgueil le font fulminer. Parce que se retrouver privé de sa liberté le rend prêt à exploser. Parce que l'écho d'une vision lointaine lui souffle que ça devrait en être une autre.

La voix glaciale de l'Aryefis lui fait serrer la mâchoire, mais ses yeux ne se lèvent pas pour autant du bout de papier qu'il pose bien à plat devant lui, signifiant silencieusement qu'il a pris connaissance de cette nouvelle présence en ces lieux. Ce n'est que lorsqu'elle l'interroge sur l'importance de ses occupations comparées à sa prétentieuse petite personne que l'ancien forban lève un regard noir vers elle, lequel dévie brièvement sur la silhouette de la domestique restée en retrait.

« Alia ! » La hèle-t-il sans élégance. La jeune femme se retourne, cherchant son maître du regard par dessus l'épaule de la noble dame.
« Oui monseigneur ? »
« Sers-nous à boire et retourne t'occuper de notre autre invité. »
« Tout de suite, monseigneur. »

La domestique hoche la tête et, penaude, passe devant la noble silhouette pour se faufiler dans le bureau où elle s'empresse de remplir une coupe d'eau pour la future mariée, et un verre de rhum pour l'époux en devenir, puis s'éclipse, laissant les deux promis en tête à tête face à leur avenir commun.

« Il y a énormément de choses qui m'intéressent bien plus que vous, figurez-vous. » Lance Simak lorsqu'il daigne enfin considérer la présence de celle qui fera bientôt partie intégrante du décor. Car c'est bien pour ça qu'elle est venue le trouver, l'ambitieuse. Pour jouir du pouvoir que confèrent ces lieux et les titres de celui qui brigue la noblesse qu'elle lui sert sur un plateau d'argent. « La prochaine fois, vous vous démerderez toute seule. »

@Nikaia Aryefis & @Simak Dor'magar 

Pando

Le liquide ambré tourne dans le verre arrondi que fait bouger la main caleuse de cet homme plus habitué à l'action sur un pont qu'aux conversations mondaines. Sans doute devrait-il remédier à ça, assurer son rôle d'Amiral en supervisant ses flottes tout en restant sur la terre ferme, mais ce serait lui ôter ce qui le maintient encore en vie. Se sédentariser à terre serait, pour lui, signer son propre arrêt de mort, le laissant seul face à sa haine et cette solitude qui planent au dessus de lui depuis cinq ans qu'il a accepté de devenir la bête noire du monde qui l'a construit. La mer est alors devenue, plus que jamais, l'amante qui surpasse toutes les autres, ses embruns sont les bras qui le ramènent sans cesse à elle, et ses tempêtes lui rappellent que ce qui lui reste de cœur n'a pas encore cessé de battre.

Le regard acier du marin ne décroche pas des billes azurées de la femme qui sera bientôt la sienne, celle qui brisera cette solitude dans laquelle il a pourtant fini par se complaire en investissant les murs austères de la maison seigneuriale. Il la connaît à peine, n'a jamais cherché à en savoir davantage sur elle, mais il sait déjà à ce tempérament de feu et à ce goût des apparences qu'elle laissera sa marque sur le domaine qui deviendra le sien. Et, pour ce qu'il en a à faire, elle peut bien changer toutes les tapisseries et les rideaux qu'elle veut, il ne compte pas passer plus de temps chez lui qu'il ne le fait déjà, sa vie se déroulant presque exclusivement en mer ou aux ports. Et s'il lui fera, parfois, grâce de sa présence, ça ne sera sans nul doute qu'au hasard d'un couloir alors qu'il partira s'enfermer dans son étude pour s'affairer à modeler Ossam à son image.

« Ça nous fait au moins un point commun. » Commente-t-il lorsqu'elle rétorque ne pas se soucier de lui non plus. Et c'est bien la seule similitude qu'il accepte partager avec elle, les autres préférant rester discrètes derrière les apparences que tous deux tentent de conserver pour leur image publique.

Un soupir d'exaspération passe les lèvres du marin avant qu'elles ne viennent goûter le rhum qui lui réchauffe doucement la gorge, anesthésiant quelques secondes son envie irrépressible de coller une tarte à cette arrogante bourgeoise avec qui il s'engagera bientôt à finir ses jours. Cette alliance qu'il portera au doigt lui paraîtra si lourde lorsqu'il se la remémorera... « Pas d'invités, pas de vin. » Justifie-t-il comme une évidence absolue en finissant son verre d'une traite avant de le reposer bruyamment contre le bois précieux de son bureau trop raffiné pour ses manières. « Il faut croire que je vais faire d'une pierre deux coups en devenant noble par une si fine connaisseuse. » L'ironie est lisible dans ses propos autant que dans le regard narquois qu'il pose sur Nikaia dont l'intérêt pour le vin n'a rien à voir avec l'idée qu'il s'en fait lui-même. « Vous pourrez faire venir autant votre pisse de vache que vous voulez pour le mariage si ça vous chante et garder les fonds de bouteille pour ceux que vous inviterez ensuite, pour ce que j'en ai à foutre. » Simak hausse les épaules et s'adosse à son fauteuil en s'emparant de nouveau du plan de la ville du bout des doigts, signifiant indirectement que le sujet de l'organisation de leur hyménée ne le concerne que trop peu. « Vous m'avez l'air d'une femme de goût, je ne doute pas un seul instant que vous saurez tout organiser toute seule. »

@Nikaia Aryefis & @Simak Dor'magar 

Pando

Le parfum de rose se fait plus présent encore lorsqu'elle s'approche pour n'être même plus à deux mètres de lui, assise de l'autre côté du bureau de bois massif, lui faisant face de toute sa suffisance. Le corsaire ne lève vers elle son regard qu'une paire de secondes avant de le reporter sur le plan de la ville. L'effluve fleurie tranche avec l'air marin qui plane dans tout Ossam et qui s'est étendu jusqu'aux moindres recoins de la demeure seigneuriale depuis que l'Amiral en est devenu l'occupant. Les deux fragrances se mêlent alors dans cette étude qu'ils sont les seuls à occuper, lui dégageant cette aura iodée d'une vie passée en mer, face à elle, nimbée de ce parfum qu'elle impose en ces murs qui seront bientôt les siens, et que son promis reconnaîtrait déjà entre mille. Dommage que la douce senteur ne lui rappelle cette femme suffisante qu'il mariera dans quelques jours.

« On enviera notre mariage jusqu'aux confins des foutues Montagnes Lunaires, pour sûr. » Répond ironiquement Simak lorsqu'elle évoque ce que promet leur union. Sûrement y aura-t-il des individus assez naïfs pour les envier, elle pour avoir mis la main sur l'influent Amiral dont les titres ne cessent de se multiplier, lui pour avoir fait sienne la dernière Aryefis à la beauté dépassant de loin de la réputation que l'on fait d'elle. De l'encre coulera et des rumeurs naîtront de leur engagement, mais le marin miserait jusqu'à sa main que rien de ce qui se dira à leur sujet ne traduira réellement les rapports qu'ils entretiendront dans l'intimité, ceux qu'ils ont déjà présentement ne présageant dores et déjà pas une idylle digne des plus grands bardes.

La main gracile arborant la bague de leurs fiançailles vient soudainement baisser le plan que l'Amiral laisse échapper de ses mains plutôt que de le voir se déchirer et ruiner le travail de longues heures de réflexion. Les doigts ouverts, ses mains se crispent néanmoins alors qu'il se demande encore ce qui le retient de s'emparer de l'impertinente ayant osé leur arracher la carte. Son regard noir se braque brusquement sur la coupable et ses paumes de main se plaquent finalement bruyamment contre le bois du bureau lorsque la fine main se replie. Puis, lorsqu'elle achève de lui déblatérer ces arguments qu'il ne reçoit pas, le Seigneur se lève brusquement pour se pencher vers elle.

« Pensez-vous vraiment qu'il est judicieux de me donner des ordres, très chère ? » Malgré le rictus apparu aux coins de ses lèvres, le ton du marin est hostile et le regard qu'il fait peser sur sa fiancée laisse parfaitement entendre qu'il n'aurait aucun scrupule à mettre la menace sous-jacente à exécution. « Si vous teniez à trouver parti docile et mondain pour propulser votre joli petit cul tout en haut de la hiérarchie, vous auriez p't'être du trouver autre chose qu'un ancien pirate, ma belle. Parce-que si je peux encore trouver quoi faire de votre petit cul, je vais clairement pas me plier à vos exigences. » En effet, le Seigneur d'Ossam n'est pas connu pour sa patience, et encore moins pour sa tolérance à ceux lui tenant tête et, bien qu'il ait accepté de faire jouir de son rang à ce postérieur qu'il a déjà su apprécier à sa juste valeur, ça n'est que pour jouir en retour de son titre de noblesse, ni plus, ni moins. Alors il se penche davantage et, la voix plus basse mais le ton pas moins menaçant, il poursuit : « Alors si vous tenez tant que ça à ce que le foutu gratin de Gwelnaur soit là pour voir à quel point vous êtes quelqu'un, démerdez-vous avec ces putains d'invités et laissez-moi en dehors de ça. »

@Nikaia Aryefis & @Simak Dor'magar 

Pando

Les flammes d'une rage latente dansent dans le fond du regard du corsaire, rivé sur celui qui continue de le défier malgré sa posture, sa stature et ses paroles. La frêle jeune femme qu'il pourrait briser d'un seul coup porté semble se sentir invincible face à lui et garde cet air suffisant placardé sur son foutu joli minois, celui qu'il pourrait faire rougir d'un revers de la main tout en le projetant au sol quelques mètres plus loin, par la même occasion. Et autant dire que cette idée le démange, devant cette femme se faisant un malin plaisir à le prendre de haut en le rappelant à sa condition d'origine.

« Je n'ai pas grand chose à foutre de vos manières et de votre étiquette à la con. Le titre me suffira amplement. » C'est d'ailleurs tout ce qui l'a motivé à conclure les fiançailles qui les lient déjà et qui les uniront bientôt jusqu'à la fin de leurs jours. Il n'a jamais été question de se fondre dans la masse de cette population suffisante et maniérée, autant que faire se peut en Gwelnaur. D'ailleurs, de tous, il lui semble qu'il est tombé sur la plus précieuse. Là où la noblesse écarlate tolère encore un tant soit peu la brusquerie et l'incivilité de Simak, celle qui sera bientôt sienne autant qu'il sera sien se montre particulièrement dérangée par celui qu'il est et qu'il compte bien rester. Et ça ne lui donne que d'autant plus envie de mettre en avant ce qui la dérange à son sujet.

La rose se lève et sa fragrance s'impose plus encore dans les narines du marin dont le seul parfum n'a jamais été que l'iode, la sueur et le sang. Pour la première fois, ils se retrouvent dans une proximité brisant la bienséance et la raison. Sans doute peuvent-ils se le permettre, vue la bague de fiançailles ornant l'annulaire de la belle, et considérant les alliances attendant patiemment d'être glissées par l'un et l'autre en signe d'union sacrée. Mais cette idée est loin d'effleurer l'esprit du marin qui se contente de découvrir, un peu plus, la beauté de celle à qui il offrira son nom et qu'il aurait sûrement déjà revendiquée quelques années auparavant.

« Vous n'êtes qu'un titre qui grandira cette même puissance que vous lorgnez. Alors gardez vos conseils pour vous et faites-vous à l'idée que ce vieux pirate rouillé sera votre mari d'ici trois jours. Pour le meilleur et pour le pire. » Ses lèvres s'étirent dans un sourire à ses derniers mots, alors qu'il prend encore un peu plus conscience que cette fleur vers laquelle il se penche plus encore sera sienne. Malgré leurs intérêts communs, malgré son arrogance, il y a un feu en elle qui l'attire comme un phare en pleine nuit noire et qui fait naître en lui de nouvelles pensées à cette indécente proximité entre leurs deux visages. « Alors, à l'avenir, abstenez-vous d'exiger quoi que ce soit de moi ou je risque de vous inspirer tout autre chose. »

@Nikaia Aryefis & @Simak Dor'magar 

Pando