Elrawyn s'en est allé depuis de longues heures, déjà, et l'ombre de Smirre plane dans chaque recoin de la bâtisse vibrant au rythme de la réception qui y est donnée. La noblesse d'Heledir y danse, y mange, s'y soûle et s'y oublie dans un faste et une décadence ne pouvant qu'attirer celles et ceux qui en usent pour abreuver leurs ambitions, à l'instar de l'itinérante noiraude que l'on vient de présenter comme d'excellente compagnie au haut gratin du royaume. Habillée de noir, les cheveux lâchés et les formes mises en valeur, la raison officielle de sa présence en ces lieux ne fait aucun doute et sa nature nomade éveille la curiosité de celles et ceux s'étant déjà habitués aux belles-de-nuit qu'ils rencontrent à chaque festivité données par l'un ou lancées par l'autre. Nekhbet vient de passer la porte des hautes sphères d'Heledir, et elle compte bien la purger aussi bien qu'elle s'applique à purger les autres.

Et ce n'est pas sans une aide précieuse qu'elle est parvenue à se faire une place dans ce cercle si fermé. À quelques pas d'elle, la prêtresse peut apercevoir la jeune femme qui lui a ouvert les portes des élites heledir, cette adepte du culte aux motivations floues, mais à l'influence non négligeable qui la retiennent encore de faire peser le poids de son âme dans sa balance. Elle lui a été d'une aide précieuse en la présentant en ces lieux, et pourra certainement encore avoir d'autres utilités à l'avenir, aussi la sans-nom s'abstient-elle de visualiser sa lame sous sa gorge.

Au milieu de la foule et des pécheurs, elle se fait naturelle, tactile, souriante, entraînante, fait rouler ses hanches à chacun de ses pas faisant onduler sa robe longue sous laquelle se dissimule sa précieuse dague sacrificielle, harnachée à sa cuisse. Son regard s'applique à juger les âmes corrompues qui l'entourent, sa bouche cherche à les confondre et ses mains les caressent dans le sens du poil, n'attendant plus que le plus pourri des fruits tombe à ses pieds pour l'écraser et l'envoyer au royaume de Kendassa. Et l'homme qui enroule à présent son bras autour de sa chute de reins est en passe de devenir l'heureux élu.

Nekhbet le laisse faire, évidemment. Elle est là pour ça, après tout, pour juger du mérite d'autrui suivant les pulsions qu'elle s'évertue à engendrer chez eux. Et à en juger par cette main qui se fraie rapidement un chemin sur sa croupe, la prêtresse se félicite d'avoir enfin trouvé un homme à finir de faire tomber dans ses filets. Il semble important, celui-ci, la quarantaine bien passée et une silhouette qui l'écrase de toute sa hauteur. Le genre d'homme avec qui il faut aller jusqu'au bout pour l'avoir à sa merci et qu'elle cherche à mener à elle avec subtilité, se tendant vers lui et échangeant des mots équivoques au creux de son oreille, jusqu'à ce qu'il accepte de la suivre à l'abri des regards.

Mais cette main qu'il referme sur le frêle poignet de la prêtresse met les sens de cette dernière en alerte et lui font réaliser ce qu'elle craignait depuis quelques temps déjà. La stature de l'homme et son désir de chaleur corporelle l'ont rendu bien trop peu sensible aux breuvages qui lui ont été servis, et le voilà déjà presque sobre. Cette situation n'aurait pas inquiété la prêtresse si elle avait été sur un autre terrain ne nécessitant pas toute la discrétion du monde pour dénicher l'endroit parfait et faire son office sans que le sacrifié n'alerte d'autres convives par ses cris. Il lui faut se montrer réaliste : tout cela sera plus aisément et plus vite réglé avec la participation d'une complice qu'elle trouve déjà toute indiquée.

Entraînant l'homme derrière elle, Nekhbet fend la foule pour venir se glisser aux côtés de la belle de Montregard qu'elle accapare, non sans adresser un sourire à celles et ceux qui auraient pu lui tenir compagnie. Penchée vers elle, une main posée sur sa délicate épaule, la prêtresse semble l'inviter à la rejoindre aux côtés de celui dont le regard brûle plus ardemment encore à l'idée que la noble femme accepte. Mais il est loin de se douter de la triste réalité qui se murmure au creux de l'oreille de Naëvia.

« Celui-ci fera une offrande de choix, mais il ne va pas être aisé à maîtriser. Rejoins-moi et honorons Kendassa ensemble, ma sœur. »