Siobhan étant tout bonnement incapable de se souvenir des quatorze années qui précédèrent sa noyade et son sauvetage par Nérée Stormbearer, elle avait la sensation de ne jamais avoir rien connu d’autre que le Pleurs-de-Veuves, le navire de son sauveur était également sa seule maison, son équipage son unique famille. Famille dont elle avait parfois bien du mal à se sentir proche. Elle était incapable d’oublier la tentative de mutinerie qui avait secoué le Peste Noir et coûté la vie de son capitaine quelques années auparavant. Si cet événement lui permis d’être nommée capitaine en second du vaisseau amiral, il l’avait profondément marqué, exacerbant sa méfiance et son caractère farouche. Même si le monde de piraterie avait d’innombrables attraits, il était loin d’être aussi romanesque et idyllique que certains continentaux l’imaginent… S’il lui arrivait parfois de partager une bonne bouteille de rhum de Thoron avec ses hommes, la rousse enchapeautée tentait toujours de maintenir une certaine distance afin de ne pas être trop déçue ou tiraillée par les remords en cas de trahison.

De fait Siobhan se méfiait de chaque nouvel arrivant, craignant toujours qu’il s’agisse d’un espoir, voir même d’un assassin à la solde du Roi de Galadhorn. La boucanière ne put donc pas s’empêcher de surveiller la dernière recrue… une belle demoiselle aux mains beaucoup trop belles pour appartenir à une marine, au visage bien trop pur pour être celui d’une pirate. Les questions s’accumulèrent dans l’esprit de la Noyée, a tel point qu’elle commença à être obsédée par cette Némésis Morrigan… une obsession qui dépassait le simple cadre professionnel. C’est justement pour cesser de penser à celle-ci que la flibustière quitta ses appartements pour aller prendre l’air sur le pont. L’air était frais, le ciel dégagé et l’équipage détendu… Instinctivement elle se dirigea vers la proue du bateau, pour profiter de la brise, pour qu’elle caresse son visage et l’aide à faire le vide dans sa tête, pour éviter qu’il n’explose.

Mais la bleusaille décida de venir la torturer, à pas de loup elle s’approcha d’elle pour lui adresser la parole, la questionnant sur son comportement solitaire. Siobhan haussa un sourcil et d’un lent mouvement de la main elle releva légèrement son chapeau afin de façon à pouvoir observer son bourreau, la transperçant de ses grands yeux bleus en silence pendant plusieurs secondes, secondes qui parurent durer toute une éternité. “Rien d’tel que l’air marin pour s’vider la caboche…” La sauvée des eaux effectua ensuite une légère rotation, pour faire face à Némésis et qu’elle se retrouve coincée entre elle et le bastingage du navire. “Trop d’questions me torturent l’esprit ce soir…” En passant presque toute sa vie entouré de hors-la-loi sans manières, la rousse avait finit par perdre son tacte. A l’instar d’un enfant elle n’hésitait jamais à dire ce qu’elle pense, quitte parfois à déstabiliser ses interlocuteurs. Mais beaucoup voyaient cette spontanéité comme une qualité, une sorte d’atout. Féline, elle s’approcha encore un petit peu son visage de celui  de la native de Gwelnaur tout en posant une main sur le parapet en bois. La voyageuse ne semblait pas intimidé… mais c’était loin d’être l’objectif du Capitaine en Second.

“Que fiche une beauté comme toi sur un vaisseau pirate ? Tes mains, tes lèvres, ton corps, ils sont faits pour l’amour, pour faire de belles choses, pas pour hisser la grand voile, pour récurer le plancher d’un vieux rafiot… ”

Peut-être que si elle avait fuit sa modeste cabine c’était parce que Némésis n’était pas dans son lit ? La séduction, l’amour étaient tellement abstraits pour Siobhan, qu’elle ne réalisa même pas que son attitude était en réalité assez cavalière, pas très raffinée, voir même un tantinet effrayante. Mais le temps passé à la Cour de Galadhorn remontait à sa plus tendre enfance.. les manières et les craintes des gens civilisés l’ayant abandonné depuis fort longtemps. Malgré tout la fille adoptive de Nérée Stormbearer pouvait sentir son coeur battre la chamade, preuve qu’elle n’avait jamais encore été autant perturbée par une femme… la beauté de Némésis n’étant absolument pas banale…