La marche avait un pouvoir que peu de gens soupçonnait. Après avoir passé une dizaine d’années sur les routes, Héloïse avait fini par en comprendre les vertus et avait tâché d’apporter cette sagesse à ses compagnons de route. Bohémond avait compris bien avant elle les propriétés de ces vagabondages, même s’il avait pris bien plus de temps qu’elle pour en accepter les qualités curatives. De ce chemin partagé, Héloïse ressortait apaisée, heureuse. Elle avait laissé l’euphorie de ces retrouvailles prendre complète possession de son corps et son esprit. Et elle avait constaté que l’amour qu’elle portait à Bohémond n’avait jamais disparu, que la braise ne s’était jamais éteinte et que les flammes avaient retrouvé une vivacité sans doute bien différente de celle de son adolescence, mais une vivacité qu’elle aurait été désormais bien incapable d’éteindre. Oui, elle était heureuse. Mais elle savait que cette plénitude apporterait bientôt son lot de questionnements, de réflexions sur l’avenir. Entendre Bohémond évoquer justement cet avenir indéfini, incertain, ne la rassurait pas tellement, mais Héloïse ne le montra pas, se contentant de lui offrir un sourire radieux, gagnée surtout par la perspective de retrouver la troupe, sa famille.

Héloïse vit Esme se précipiter à leur rencontre et la jeune femme sourit plus grand encore de voir cette belle femme, dont le deuil n’avait pas marqué les traits comme d’autres en portaient les traces indélébiles. La renarde rendit son étreinte à cette deuxième mère et éclata de rire à son commentaire chuchoté à l’oreille. Elle se garda de répondre avec humour, de peur de mal tourner sa réponse et se contenta d’un « Tu m’as manqué, Esme ». Héloïse n’était pas revenue au campement depuis un peu plus d’un an et elle n’avait désormais plus qu’une hâte : retrouver ses propres parents. Esme en profita d’ailleurs pour les appeler tandis que Rollon faisait encore son numéro de bouderie que la jeune femme connaissait bien, désormais. Elle roula des yeux comiquement à la remarque de Bohémond. « Tu ne crois pas que ce serait plutôt à toi de lui dire vers quelle douce chaleur va ta préférence… » fit-elle, mutine, tout en déposant un rapide baiser sur ses lèvres, pendant qu’Esme continuait de donner à Rollon sa dose de cajoleries. Au même moment, les parents d’Héloïse apparurent et la jeune femme se précipita à leur rencontre. Elle s’engouffra dans les bras de son père, ses larges mains se posant délicatement sur son dos tandis que sa mère lui caressait les cheveux avec un sourire de joie. Après quelques instants de retrouvailles, le trio rejoignit Bohémond et Esme, et Aedd saisit le ménestrel dans une accolade virile. Ils s’étaient bien évidemment déjà retrouvés quelques semaines plus tôt, lorsque Bohémond était revenu au campement pour la première fois depuis bien longtemps, mais Héloïse sentait chez son père qu’il était encore affecté par le décès de celui de Bohémond. Nesta, sentant l’émotion palpable, prit les devants. « Nous sommes tellement heureux de vous revoir, les enfants. » Elle serra la main de sa fille et de son compagnon de toujours. « Je suis sûre que vous avez plein de choses à nous raconter, mais vous avez sans doute envie de vous débarrasser de tout ça », fit-elle en désignant leurs paquetages respectifs. « Prenez le temps de vous installer, et on se retrouve pour manger tous ensemble ! » Héloïse remercia sa mère alors qu’elle leur montrait la tente qui avait été préparée à leur intention. Comme s’ils avaient prévus depuis le début que Bohémond reviendrait avec Héloïse. Les cartes de Nesta contenaient-elles plus de vérités que la jeune femme ne le pensait ? Cette idée que leurs parents s’attendaient à les voir partager le même abri l’embarrassa autant qu’elle l’amusa. La troupe n’avait-elle donc jamais cessé de croire à ce couple qui avait pourtant eu toutes les chances de ne jamais plus exister ? Héloïse entra dans la tente aménagée avec soin, qui ressemblait fortement à celles que l’on réservait aux jeunes mariés, ce qui enflamma un peu plus le visage de la jeune femme. Pourtant, elle se délesta de ses bagages, soupirant d’aise quand le poids quitta ses épaules fourbues, et enleva également son manteau. « Tu crois qu’ils ont aussi prévu un banquet de noces ? » fit-elle en riant, avant de se rendre compte de ce qu’elle venait de dire, s’empourprant un peu plus.