@Leandry Thoron.

Ahmir avait été en charge de vérifier les armes nouvellement « commandés » par le Roi. En toute discrétion. Si on lui demandait son avis, le royaume se préparait. Tout le monde se préparait en fermant les yeux, en ignorant les gestes indicateurs d’une éventuelle et potentielle guerre. Ahmir entendait son ami et Roi lui demander de s’occuper de quelques entraînements avec certains chevaliers, de vérifier que le Royaume était prêt … et quand une question pointait le bout de son nez sur les lèvres d’Ahmir, un mur se dressait face à lui. Le sujet semblait sensible. Il n’en avait pas entendu de véritables mots, de discours officiels mais il sentait que quelque chose se préparait. Alors, en tant que chevalier et ami, il baissait la tête en faisant quelques pas en arrière. Il agissait. Il obéissait. Mais son corps entier lui disait d’enfiler sa casquette de conseiller et essayer de raisonner le Roi. La Paix est certes une situation compliquée mais … le Royaume la méritait.

Perdu dans ses pensées, il baissa son regard vers le géant qui venait lui attraper le poignet. Ahmir n’avait jamais été un fidèle adepte des contacts physiques. Sans doute cela venait de sa mère et des kilomètres de distance qu’elle avait placé entre eux pendant son enfance. Aucun sursaut, aucune grimace sur les lèvres, aucun sentiment sur son visage. Non, il avait simplement posé ses prunelles noisette sur le géant. Ce dernier, quant à lui, avait les joues d’une légère teinte rosée et les muscles de sa mâchoire battaient encore un étrange rythme. Il ne savait pas quelles étaient les raisons mais il connaissait suffisamment son cousin pour savoir qu’il ne se mettait jamais dans de drôles états pour des pacotilles. Raisonné et raisonnable, il était dans la réserve … alors il gagna en moins d’une seconde l’attention entière du chevalier. « Evidemment. » répondit-il avec ce calme olympien qui lui était caractéristique et c’est ainsi qu’Ahmir lui emboita le pas, se dirigeant à l’écart d’une possible rencontre hasardeuse. Et alors que ses pas suivaient le tempo de son cousin, il comprit qu’il allait être d’une question grave, suffisamment grave pour qu’ils ne se retrouvent qu’à deux. Arquant un sourcil, Leandry avait désormais toute son attention. « Qu’est-ce-qu’il t’arrive ? » Si Ahmir n’était pas un inquiet de nature, il devait avouer que le regard de son cousin commencait à faire naître ce sentiment au fond de son estomac. « Que se passe-t-il ? Je suis tout ouïe. » dit-il en croisant les bras avec élégance, un sourire réconfortant sur les lèvres.

Si seulement il savait que les propos de son cousin allaient faire battre son cœur un peu plus vite, faire bouiller le sang dans ses veines, et perler une larme de sueur le long de son dos. Si seulement. Mais pour l’heure, il était souriant, rassuré et rassurant. Le calme Ahmir qu'on lui connaissait si bien.

 
@Leandry Thoron.

Sans s'en rendre compte, sans en avoir conscience, il venait de déclencher une tempête. Lorsque le pronom « elle » s'échappa des lèvres de Leandry, il comprit mais n'eut aucune réaction. Il était impossible d'afficher un sourire carnassier, d'acquiescer d'un signe de tête, de lui montrer qu'il partageait son avis et n'était guère surpris. Il lui était impossible car il se devait d'être du côté du Roi, et hélas de la Reine qui allait de paire. Bien malgré lui. Néanmoins, bien qu'il n'afficha aucune réaction, son regard se perdit quelques secondes au-dessus de l'épaule de Leandry, comme s'il se doutait que les choses allaient prendre une tournure plus secrète, plus suspicieuse. Mieux valait être sur ses gardes. Les fourberies étaient malheureusement chose commune par les temps qui courent.
La Reine était parvenue à son but. Elle avait Barahir entre les mains. Elle ne disait mot mais agissait dans l'ombre. Elle parlait à travers les lèvres du Roi. Elle ordonnait à travers les recommandations du Roi. Il n'était devenu que son medium, aveuglé par … qu'était-ce au juste ? Une soif de reconnaissance ? Ahmir n'était toujours pas parvenu à comprendre comment une femme de son genre avait été capable de faire de son meilleur ami une marionnette. Un pantin. Une grimace défigura pendant une demi-seconde le visage du chevalier. Une grimace qu'il n'était pas parvenu à contenir.

Alors qu'Ahmir avait froncé les sourcils, il déglutit en entendant le nom que venait de prononcer son cousin. Il semblerait que celui-ci avait un plan. Un plan beaucoup élaboré que les idées folles qui traversaient parfois l'esprit du chevalier. Ahmir décroisa les bras avant de faire un pas en direction de Leandry, plongeant son regard dans le sien comme s'il essayait d'y discerner le moindre doute … la moindre hésitation. «Hélas. » Une femme. Vile. Mauvaise. Une espèce de sorcière dont Ahmir avait entendu parlé comme beaucoup trop de pauvres gens. Il ne savait pas si tout était vrai mais il aurait préféré ne jamais avoir à s'en préoccuper. Le regard toujours plongé dans celui de son cousin, il poursuivit : « J'ai peur que tes émotions commencent à prendre le pas sur ta Raison, Leandry. Et il faudrait mieux s'assurer que tes paroles ne dépassent pas ta pensée. Il s'agit ici de la Reine.» Il ne le menaçait pas, certes … mais il souhaitait s'assurer que son cousin avait cette folle pensée que d'éliminer la Reine ou tout du moins de lui nuire.

Il détacha son regard du sien pour le baisser. Le regard rivé vers le sol, il avait néanmoins cette curiosité brûlante de lui demander ce à quoi il pensait. N'était-ce pas son devoir que de protéger le Roi, son meilleur ami ? Le roi n'était-il pas prisonnier et aveuglé par … « Tu sais que je ne suis pas un admirateur de son Art... » murmura-t-il dans un souffle, avant de relever la tête. « Mais je crains que son dessein ne soit encore plus néfaste. » Pour Thoron. Pour le Roi. Pour tout le monde.

« J'ai peur que tes pensées rejoignent les miennes.... » souffla-t-il avant de se laisser tomber dans un de ces fauteuils, les mains posées sur les genoux. La prestance du chevalier laissait désormais place à la vérité. Il se mettait à nu comme les desseins des cousins Thoron étaient en train de se dévoiler.

 
@Leandry Thoron.

Le regard d'Ahmir alterna entre cette carafe de vin et le bout de ses bottes. En était-il réellement arrivé là, à comploter entre deux alcôves, une coupe de vin à la main ? Qu'était-il devenu ? Leandry avait raison, si raison que cela en faisait mal. Ils étaient mis au pied du mur. Il était question d'agir et de réagir, pour le bien de Thoron, pour le bien du Roi, pour leur bien à tous. « J'aimerais qu'il y ait une autre solution ... » Cela ne voulait pas pour autant dire qu'elle existait, cette autre solution. Alors, las, il attrapa cette coupe de vin pour y plonger le regard. « J'ai essayé de l'approcher par tant de moyens différents … » Son regard se leva vers le visage de Leandry, qui semblait tout autant que lui surpris par les mots qui s'échappaient de leurs lèvres. « Mais je crains que nous en sommes arrivés au point selon lequel il n'y ait pas d'autres solutions, en effet. » Il serra un peu plus fermement la coupe dorée entre ses doigts. Ses mains en devenaient presque moites. « Je veux juste être certains que rien n'entachera sa réputation. Il ne doit en aucun cas l'apprendre. Et, il doit n'en subir de près ou de loin aucune conséquence. » Il était évident qu'Ahmir faisait mention de son ami d'enfance, le Roi. « Ce que nous nous apprêtons à … Leandry. » Il se tut avant de soupirer lourdement. Les mots semblaient trop anodins pour exprimer ses sentiments, pour expliquer ce qu'ils s'apprêtaient à commettre. Même si rien était fait. Même s'ils n'avaient encore rien dit. Tout était dit. Tout était fait. Ils venaient de basculer dans l’infamie.

Il n'était plus question de vaciller au-dessus du vide. Il était temps d'agir. Alors, toujours cette coupe dorée entre les doigts, il se leva de son fauteuil pour faire face à son cousin. « Tes craintes et tes dires ont été entendues, cousin. » Il leva légèrement son verre sans perdre des yeux le regard pétillant de son cousin. « Pour Thoron. »

La Messe était dite. Les cousins étaient devenus des comploteurs. Les cousins étaient devenus des vipères en plein cœur du royaume. Les cousins allaient, selon leurs dires, partir au secours du Royaume et de leur famille.