Nymeria était de retour dans la capitale pour son plus grand bonheur. Elle avait retrouvé les rues dans lesquelles elle avait passé une partie de son enfance. Et le palais royal lui avait fait revenir nombre de souvenirs à l’esprit. C’était merveilleux. Nymeria avait également retrouvé Ahmir. Ahmir… Cet ami si proche. Ils formaient un trio détonnant avec Röhmer, toujours à faire des bêtises étant enfant. Ils avaient vécu nombre de choses ensemble. Revenir ici, c’était comme retourner dans le passé. Sauf qu’à présent, elle était fiancée… Ce n’était pas pour ravir Nymeria qui n’avait jamais voulu se marier. Elle était une femme atypique et dans sa famille, on lui reprochait souvent ce côté fonceur, impulsif, aux antipodes de ce qu’on attendait d’une lady.

Elle était dans sa chambre, sa gouvernante lui faisant la lecture. Une lecture assommante qu’elle n’écoutait pas réellement. Sa suivante peignait sa chevelure tandis que Nymeria restait perdue dans ses pensées. Le fait d’avoir revu Ahmir l’avait tout de même pas mal perturbée. Elle ressentait des choses pour lui, rien n’était terminé. Comme si les sentiments d’enfance avaient grandi en même temps qu’eux. Elle ne savait plus que penser. Et au fond, elle en voulait à Ahmir. Il n’avait pas fait de demande, malgré la gêne parfois perceptible entre eux, il ne semblait vouloir que de son amitié. Elle poussa un soupir ce qui eut pour effet de faire sortir sa gouvernante de sa lecture. Mais avant qu’elle ait eu le temps de la rabrouer, un page entra dans la chambre, annoncé au préalable.

Un pli de sa Majesté, ma Dame.
Oh, merci, donnez-moi ça.

Le page s’éclipsa une fois sa mission remplie. Nymeria se hâta d’ouvrir et un grand sourire illumina son visage. Elle s’adressa à sa suivante.

Ravena, ma tenue de cavalière je te prie.
Nous sommes à la Cour, ici, Nymeria, dois-je te le rappeler ? Ce n’est pas le lieu pour se vêtir de façon extravagante.
Ordre du Roi !

Elle ne demanda pas son reste, abandonna sa tenue de dame pour revêtir une tenue de cavalière, pantalon rentré dans les bottes et chemise blanche avec petit gilet élégant. Sa gouvernante était outrée mais Nymeria la laissa vociférer en vain. Elle fila aux écuries, sauta sur son cheval et fila en direction de la crique, de menues affaires accrochées à l’arrière de son cheval. Elle s’arrêta en chemin dans une auberge, l’aubergiste la prenant pour un homme, puis arriva le lendemain en fin de journée au lieu dit. Elle arrêta son cheval à quelques pas de celui du Roi.

Majesté ! Je n’ai plus le droit de t’appeler par ton prénom, maintenant, non ?

C’était fort peu protocolaire mais ils étaient des amis de longue date. Un sourire éclatant s’affichait sur le visage de la jeune femme.      

Nymeria avait chevauché rapidement, heureuse de retrouver son ami qui lui avait tant manqué. Les paysages lui avaient également rappelé des souvenirs heureux. Des souvenirs insouciants de l’enfance où ils partaient à cheval dans de folles équipées. Retrouver Ahmir l’avait troublé, retrouver Röhmer la ravissait. Depuis qu’il était monté sur le trône, ils ne s’étaient pas beaucoup revus et la jeune femme le regrettait. Elle se doutait qu’il était fort occupé mais il avait quand même pris le temps de la convier.

Elle arrêta son cheval lancé au grand galop juste à côté de celui du Roi qui était attaché devant une grande bâtisse. Röhmer s’était précipité au dehors pour l’accueillir, un immense sourire sur les lèvres. Elle accepta l’aide proposée pour descendre de cheval et éclata de rire à sa réponse. Les formalités et protocoles n’avaient jamais eu cours entre eux.

Je vois que tu es toujours aussi modeste dis-moi !

Un éclat taquin jouait dans ses yeux. Il la prit dans ses bras et elle le serra contre elle. Il était le plus vieil ami qu’elle avait et cela faisait plaisir de se retrouver dans un endroit aussi beau. Elle se souvenait que l’endroit avait été celui de l’attaque de la goule. Cela avait fortement marqué le souverain et Nymeria n’en toucha mot, par délicatesse. Il appela un dénommé Arthur qui se chargea des affaires de la jeune femme, attachées à sa selle. Nymeria attrapa le bras de Röhmer et marcha avec lui en direction du bâtiment.

Mon voyage jusqu’ici a été assez inconfortable je dois dire. Je me suis arrêtée dans une auberge hier soir et pour ne pas être importunée, j’étais vêtu comme tu me vois, ressemblant à un homme. Mais les lits étaient tout sauf confortables… Quant à mon voyage de Lugan jusqu’à la capitale, Yrina n’a cessé de me sermonner pour que je reste dans la diligence… Monter à cheval ne serait pas digne d’une dame… Tu connais ma chère gouvernante…

Elle avança et Röhmer tapota son nez pour qu’elle sente l’odeur de nourriture qui se répandait autour d’eux.

Hum… Miam ! Ca sent drôlement bon dis donc ! Qu’as-tu fait préparer ?

Ils entrèrent dans la bâtisse. Nymeria contempla les ornements, c’était vraiment un bel endroit. La table avait été préparée avec soin, malgré la rusticité des lieux. Elle s’installa alors en face de son ami.

Et j’ai appris que… je suis fiancée…

Son air maussade montrait clairement que cette nouvelle ne lui plaisait pas du tout.        

Nymeria était reconnaissante à son ami de lui octroyer du temps. Elle se doutait que les affaires du Royaume devaient bien l’occuper. Elle n’avait d’ailleurs pas pensé pouvoir passer beaucoup de moments avec lui, contrairement aux autres membres de la bande. Elle était rentrée dans la bâtisse avec le Roi et avait admiré la décoration et la table joliment dressée. L’odeur embaumait et son ventre se mit à gargouiller. Elle avait faim et venait de s’en rendre compte à l’instant. Ils s’assirent autour de la table et Röhmer lui annonça le menu.

Miam ! Tu savais que j’allais venir avoue-le !

C’était son plat préféré. Un coup de chance ? Les plats furent déposés sur la table, Nymeria se laissant servir par les domestiques de Röhmer. Elle attaqua les légumes puis la viande fondante, terriblement délicieux. Elle avait lâché la nouvelle qui était une véritable bombe pour elle. Elle ne voulait pas de fiançailles. Mais elle n’avait pas dit cela au Roi mais à son meilleur ami d’enfance. Elle n’avait même pas réalisé qu’un Roi avait le pouvoir d’annuler ces fiançailles. Mais à quel prix ? Les Zéphyrs étaient puissants, détenteurs de mines d’or, ils seraient des alliés indispensables pour la guerre qui risquait de frapper. Elle secoua la tête.

Je sais, Rö, mais tu ne peux pas te permettre d’avoir mon père à dos. Pas avec la guerre qui s’annonce. Je te remercie, vraiment, c’est adorable. Mais ce serait catastrophique pour le Royaume.

Elle soupira et répondit à ses questions.

Tiberias Altare. L’aîné d’une famille puissante que tu connais il me semble. Ils habitent à Velathiel, près de la frontière Gwelnaur…

Elle garda le regard dans le vide. Elle s’imaginait déjà mariée, obligée d’aller à l’autre bout du pays dans la demeure de son époux. Sans compter le devoir conjugal… Elle frissonna à cette pensée. Elle sourit malgré tout.

La seule solution, ce serait qu’un meilleur parti me demande ma main… Je ne sais pas si ça serait mieux d’ailleurs. Et puis, un meilleur parti que les Altare… A part la famille royale, je ne vois pas ! A part si Léandry voulait bien me demander en mariage juste pour me sortir d’un mauvais pas.

Elle avait dit cela en riant, sur le ton de la plaisanterie. Mais soudain, la pensée d’Ahmir s’imposa à son esprit. Et si c’était lui la solution. Son cœur accéléra douloureusement mais elle n’en montra rien. Jamais il ne la demanderait en mariage. S’il avait dû le faire, il l’aurait fait il y a bien longtemps de cela…

Seule face au Roi, elle se permettait des confidences qu’elle n’avait dit à personne d’autre. Si ce n’est à Ahmir mais sa réaction l’avait surprise. Il lui avait souhaité le meilleur. Et elle lui en avait voulu. Mais elle savait que Röhmer était proche d’Ahmir, qu’il était comme son frère spirituel. Avait-elle envie qu’Ahmir sache ce qu’elle ressentait ? Pas vraiment, non. Pas pour le moment. Elle n’avait rencontré qu’une fois la famille Altare et se souvenait vaguement de son promis. Un jeune homme qui n’avait rien d’avenant, aucun esprit et un air pataud. Elle n’avait aucune envie de lui être donnée en pâture. Car c’est ainsi qu’elle le voyait. On la vendait comme du bétail pour une union avantageuse pour sa famille. Elle n’avait même pas pensé demander son aide à son Roi. Elle estimait que son ami d’enfance avait bien d’autres chats à fouetter. Les affaires du Royaume devait l’accaparer. Elle avait toujours respecté les obligations du souverain.

Cela ne l’empêcha pas de se régaler, finissant par se lécher les doigts aussi de plaisir. Le plat était particulièrement goutu et le vin rajoutait un tanin très appréciable à la viande. Elle eut un air surpris avant de demander avec curiosité.

Les fiançailles de Léandry ? Qui est l’heureuse élue ?

Elle eut un moment de pause avant de demander, timidement presque.

Et… Ahmir ? Tu vas le fiancer également ?

Elle fut touchée par les paroles de Röhmer qui voulait un homme bien pour elle. Elle eut un sourire tendre.

Oh, tu es adorable. Et bien, j’ai eu l’occasion de rencontrer une ou deux fois Tiberias à un bal… Il n’a aucune conversation et semble absolument inintéressant…

Elle écouta ce qu’il lui disait. Il lui proposait une escapade au clair de lune pour manger le dessert au bord de la crique. Elle se souvenait des nuits où Ahmir, Röhmer et elle quittaient en toute discrétion leurs chambres pour aller faire des bains de minuit ensemble. Elle sourit.

Avec grand plaisir !!

Il lui attrapa la main, comme lorsqu’ils étaient enfants, rien ne semblait avoir changé et il l’entraîna dehors près des chevaux. Elle monta sur le sien puis se lança à plein galop derrière son Roi et frère de cœur.