Ce soir, c'était masquerade run. Ces soirées organisées par la famille royale étaient prisées par tous mais pour son équipe organisatrice, c'était un pain béni pour leur panse et impôts. Römhen ne souhaitait pas connaître le thème à l'avance parce qu'il avait à coeur de jouer le jeu comme il faut et il reçut lui même sa missive cachetée aux couleurs des Thorons qu'il déplia hâtivement. Les sourcils qui se redressaient, il clignait plusieurs fois des yeux. Jamais pareil thème n'était apparut à la cour mais soit, il allait jouer le jeu, comme tout un chacun des invités qui danseraient lors de ce bal.

Il utilisait les ressources vestimentaires qui régnaient dans ses commodes pour tenter de trouver la tenue adéquate. Être une odeur. Il n'avait aucune idée de la traduction du sujet de cette soirée. Il cherchait comment enjoliver une odeur à travers une tenue qui sentirait la fleur de frangipanier, une odeur qu'avait toujours apprécié Römhen, presque féminine mais qui caressait les narines pour tout un chacun. Il demandait à une servante d'aller lui en chercher dans les jardins royaux afin de s'en frotter sur les vêtements. Sa tenue rappelait les couleurs de la plante et ses cheveux coiffés légèrement, un peu leste et légèrement en arrière lui faisait paraître un peu plus jeune. Il avait demandé plus tôt à ce que Satine reçoive une invitation car selon les dires des suivantes de son épouse, cette dernière serait absente. Il n'allait pas lui imposer la vision de sa favorite, même si tout un chacun connaissait les désirs inassouvis du roi et qu'il ne s'en était jamais caché.

De ce fait, le voilà en train de descendre les marches en pierre de son palais, dégageant une odeur de fleur de frangipanier avec sa trace sur son passage. Les portes qui se poussaient et la musique venait éclater aux oreilles de Römhen. Ce soir, il allait passer une soirée exceptionnelle. Il se fit annoncer par son crieur et les convives vinrent le saluer en rejoignant son siège. Il avait fait poser un fauteuil très épuré mais charmant pour Satine à ses côtés, elle même qui serait aux côtés de son frère Leandry.

C'était le jour tant attendu depuis les trois derniers mois au sein de l'Empire Thoron. La mascerade run du printemps. Cet évènement popularisé par la mère elle-même des frères, qui appréciait tant se déguiser et se faire passer pour quelqu'un d'autre le temps d'une soirée. Un moment qui ne manquait pas de plaire, puisque c'était tout le peuple qui y avait pris goût. Parfois, on y recevait même des invités de choix venus d'autres familles d'Elenath. L'occasion pour Thoron de dorer son image en organisant cet évènement plaisant.

Le prince ouvrait l'envelopper soigneusement cachetée par le loup dessiné dans la cire. En découvrant le thème de la soirée, Leandry se mis en tête de se combiner avec son frère. Lui aussi serait une fleur ce soir-là. Une magnifique fleur. Ils se disputaient tant, les frères Thoron, que leur mésentente résonnait dangereusement dans l'Empire. S'assembler pour la soirée, se cacher derrière une masque souriant et lumineux pour plaire à tous et redorer l'image de leur fratrie, là était le plan de l'aîné, dont il n'a pas parlé à son cadet. Il espérait simplement que ce dernier ne foire pas tout, comme à son habitude...
Leandry deviendrait ce soir-là une merveilleuse rose carmin. Il portait un pantalon rouge foncé ainsi qu'une chemise claire, recouverte d'un veston dans les tons vermeilles. Chaque petit détail comptant, les boutons du veston avaient été remplacé par des roses et une broche à l'effigie de cette fleur était accrochée au tissus. L'une de ses fleurs trouvait sa place dans la poche poitrine. Il avait également pris soin de se parfumer des essences de cette fleur majestueuse. La rose qui révélait bel et bien son côté gentleman et charmeur, tout comme il s'agissait de la première chose qu'il eut offert à Satine, présente ce soir-là. Le rouge reflétait la couleur de sa famille, qu'il ne faillirait jamais.

Après l'arrivée du roi, c'était au prince de faire son entrée dans la salle. Il eut droit à un tonnerre d'applaudissement, auquel il répondait humblement d'un geste de la main, laissant paraître son sourire en coin qui faisait sa marque de fabrique. A chacune de ces soirées, Leandry prenait un peu plus compte à quel point il aimait cet univers, cette noblesse, qui n'avait d'yeux que pour lui.
Il trouva sa place près de son frère, bien qu'un siège se trouvait entre eux deux. Un siège clair et simple, qui n'était pas du genre d'Elenna.
-Bonsoir mon frère, fit-il, chaleureux.
Pourtant, ses phalanges étaient correctement emballées dans des bandes protectrices. Les marques de sa dernière colère envers Römhen étaient encore bien présentes. Feindre l'amour fraternel. Juste un soir.
-Quelle belle fleur tu es, ce soir.
Une fausse sincérité qui lui entravait la gorge. Il n'aurait définitivement pas d'autres choix, ce soir.
-Elenna ne t'accompagne pas ? demanda-t-il finalement, curieux de son absence.

Elenna n'était pas d'humeur à faire la fête: la mascerade run du printemps était pourtant un évènement d'importance pour la couronne de Thoron mais elle avait affirmé, quelques jours auparavant, qu'elle ne s'y rendrait pas. Ses espoirs avaient été réduit à néant lorsque le rendez-vous féminin s'était présenté à elle, lui ayant fait croire, par un retard de quelques jours, qu'elle portait peut-être un héritier. Ses relations avec Römhen étaient compliquées et depuis que la Telemnar avait reçut un titre de favorite, elle avait la sensation de voir son époux lui échapper en lui préférant la couche d'une autre. Mais Römhen était un roi, et elle n'était que sa reine: elle ne pouvait rien faire si ce n'était serrer les dents et tenter de l'attirer entre ses draps pour accomplir le seul devoir qu'une reine avait envers le royaume, la seule chose qui la rendrait à jamais intouchable. Malheureusement, son ventre demeurait plat, leur mariage stérile et l'espoir de ces quelques jours de retard avaient été d'autant plus cruels que sa déception avait été grande en se rendant compte qu'elle demeurait, pour l'heure, toujours infertile. Alors, quand elle avait entendu ses suivantes glousser au sujet de la grande fête annuelle du printemps, la mauvaise humeur l'avait emporté et elle avait déclaré que le printemps se passerait d'elle, puisque la nature refusait de lui accorder ce dont elle avait cruellement besoin. Elenna ignorait ce qu'elle espérait en disant cela: elle savait que les murs avaient des oreilles, que ses paroles remonteraient indubitablement aux oreilles de Römhen. Sans doute s'était-elle attendue à ce que son époux franchisse la porte de ses appartements pour lui intimer de venir ? Il n'en fut rien. Römhen, bien qu'enjoué à l'idée de la mascerade run, ne sembla pas se préoccuper de ses états d'âme et cela mis Elenna dans une colère froide. Sans doute un coup de la catin ! Encore ! Alors elle récupéra le carton d'invitation, lisant le thème annuel avec lassitude. Etre une odeur ? Qui pouvait bien avoir pondu un thème aussi farfelu ?

Elle ne se présenta pas avec Römhen, ce soir là. Puisqu'il était sans doute persuadé qu'elle ne viendrait pas, elle lui en ferait la surprise. Elenna décida donc d'honorer l'hiver, les odeurs si particulières de cette nature endormie, indescriptible et inaltérable. Elle opta pour une robe blanche aux reflets bleutées (tenue) qu'un col surmonté d'hermine venait richement décorer. Les tissus tantôt épais, tantôt légers de bleus et de blanc du vêtement rappelaient la neige, le ciel dégagé qui laissait place au froid venant paralyser les narines des courageux qui osaient mettre un pieds dehors. Quand au broderies d'or cuivrés dessinant des motifs abstraits mimant le mouvement de volutes de fumées, s'échappant des lèvres, ils n'étaient pas sans commémorer l'odeur plus naturelle du bois et de la chaleur du foyer. Exceptionnellement, Elenna laissa ses cheveux défaits, leur ondulations dorés descendant jusqu'au bas de son dos, et ne déposa qu'une fine couronne afin que tous gardent en mémoire qu'elle était la reine. Cependant, loin des tiares et couronnes habituelles, il s'agissait plus d'un bandeau d'or délicatement ornementé de quelques pierreries discrètes qui ceinturait son front avec grâce.

La jeune femme, suivit des ses habituelles dames de compagnie, ayant opté, l'une pour une tenue en hommages aux agrumes et l'autre aux couleurs de la foret, arriva devant la lourde porte de bois qui donnait sur la salle d'où s'échappait le bruit de la fête qui, déjà, battait son plein. On lui ouvrit la porte et, avec un regard sévère pour l'homme en charge, on annonça l'arrivée de la reine. Elenna regarda la foule, la tête haute, et ses prunelles bleus rencontrèrent la silhouette familière de son mari. Il était d'ors et déjà assis, visiblement en grande conversation avec son frère et, pour sa plus grande haine, la putain qui lui servait de favorite. Notant que les hommes avaient opté pour des tenues rappelant des fleurs, elle ne put s'empêcher de remarque combien sa robe blanche était assortie aux vêtements de son époux quand ceux du prince l'étaient à la favorite. Laquelle avait décidé de s'afficher, auprès de si grande figure, dans une robe rouge qui, pour Elenna, frôlait la vulgarité. Le rouge n'était-il pas la couleur de la passion ? N'avait-elle donc pas honte de s'afficher ainsi en rappelant à tous la basse besogne qui était la sienne. Le regard brulant de la reine se détourna de la jeune femme et elle s'avança vers Römhen qu'elle salua d'un signe de tête protocolaire avant de rejoindre son côté et de se pencher vers lui. « J'ose espérer que ma présence n'est pas une déception, mon aimé.  » lui dit-elle d'une voix douce tandis que son visage arborait un sourire d'une oreille à l'autre qu'Elenna devait forcer tant la vue de la Telemnar lui était insupportable. « Je sais combien cette fête est importante pour Thoron. Ne pas y assister était inconcevable.  » ajouta-t-elle avec un regard brulant pour le prince Leandry et sa voisine de table.

Est-ce que seulement l'illusion d'un amour pouvait donner le force de le ressentir pour de bon ? En ce qui concernait ce que son coeur crachait, Römhen était indéniablement mauvais. Il y avait de l'innocence dans sa capacité à gérer les sentiments et de l'imprévu dans ce qu'il se passait ensuite, dans le lit d'amour. Il évoluait dans un univers qui était commun au prestige de son titre. Mais pour ce roi-là, c'était comme son corps était tiré, écartelé par des centaines de charrettes attelés par des bourreaux pour déchirer le peu de bonté qu'il avait en lui. Chaque centimètre de peau créait une indécision entre sa raison et son coeur, son pouvoir et sa paresse, sa possession et son orgueil. Il était un roi amer et déprécié, faisant semblant de ne pas entendre les ragots et les pitreries à son sujet pour protéger ce qui restait de sa fierté. Il prit alors la décision que ce soir plus qu'un autre, il ne laisserait rien, ni même personne toucher et entraver les futurs instants de quiétude de ce bal gangrené.

L'arrivée de son frère à sa suite dans une courtoisie exagéré pour converser ne rendit pas l'excitation de Römhen moins réel. Grand-frère. On se ressemblerait presque ce soir. Et il se mit à glousser d'un rire un peu gras mais sans grande conviction. Le genre de rire qui atteignait les lèvres mais pas les yeux, justifiant de son indésirable envie d'être complice. Leandry ressentait la même chose, il pouvait le sentir dans ses tripes et dans tout son esprit. Il ressentait les choses ce soir, comme un vieux cadeau du ciel que Saeryn aurait pu lui offrir. Une malédiction tout du moins. Mais voilà qu'une odeur fruitée dans l'oeil de Römhen fit son apparition et c'est un sourire qui atteignit cette fois son regard que la populace noble se firent témoin. Elle vint vers lui, toute solennelle et ça l'amusait le Roi. Elle aurait pu être plus intime que la royauté ne s'en serait pas trouvé choqué, habituée et connue de toute, Satine était sa favorite que tout le monde en soit honoré, ce soir, elle partagerait sa couche. Satine, ne joue pas les inconnues. Cette place est belle, chaude et honorable. Tu mérites tout un parterre de... Mais n'eut-il pas fini sa phrase que ses yeux s'écarquillèrent en apercevant la chevelure d'or de son épouse. Sa splendeur souffla toute la poussière sur son passage et si son estomac tournait des papillons de sa maîtresse, son coeur quant à lui s'emportait dans la cavalade d'un torrent de mille chevaux. Elenna, son éclat de Soleil quand il ne jurait que par la Lune fit enfin office dans le bal duquel elle n'aurait pas du être présente. Pendant un instant, plus rien d'autre ne comptait à part ce qu'elle penserait de son odeur, et l'appel de ses lèvres enchantèrent un Römhen non-subtil de l'amour qu'il lui portait. L'éclat de son iris brillait d'un torrent de sentiment, emporté par le sarcasme qu'elle retenait de sa voix presque morose. Puis le fauteuil de son amante respirait mal, et c'est aux côtés de Römhen que trônait l'épouse et la maîtresse. Je... puis il redevint Roi. Tu étais souffrante m'a-t-on laissé dire. Et il se leva pour aller l'accueillir, parole de souverain et comportement de mari. Qu'ils deviennent témoins de leurs jeux de saltimbanques, Römhen en serait ravi. Très bien, alors prends place. La prochaine danse sera la nôtre. Et s'il n'était pas au courant, la tension que délivrait le quatuor n'avait d'égal que les flammes qui dansaient dans les vases.

Römhen salua à son tour son aîné, gratifiant son arrivée d'un sourire que Leandry eut tôt fait d'analyser comme étant faux. Tout comme l'étaient ces politesses entre eux, pour ne rien laisser paraître face aux invités dans la salle. Pourtant, la plupart d'entre eux doivent déjà les avoir entendu se disputer dans le palais. Mais jamais en public. Ou sinon, très rarement.
-Assortis jusqu'au bout des ongles, grinça-t-il, bien que c'était tout à fait voulu de s'assortir afin de créer une certaine alchimie entre les frères ce soir-là, qui paraîtrait comme une bonne entente et une unité aux yeux de tous.

Par ailleurs, le fruit-même d'une dispute méconnue et sournoise fit son apparition. Satine apparut dans la salle, laissant dans son sillage un parfum que l'on pouvait imaginé sucré et savoureux, comme la fraise qu'elle représentait. Fruit de la tentation. Plus belle que jamais. Leandry en eut le souffle coupé. Il se détendit un court instant, son esprit vagabondant vers le monde idéal où il aurait pu l'enlacer et l'embrasser publiquement sans craindre le regard des autres et du roi. Car les dieux savaient combien il en mourait d'envie. Et combien cela devenait de plus en plus difficile de dissimuler leur relation aux yeux du monde.
Satine s'approcha, salua le roi dignement et adressa une salutation moins cérémoniale au prince, bien que ce dernier eut le temps de capturer son regard. Ses prunelles amoureuses qui le chamboulaient. Pour sa part, il se contenta d'un acquiescement des plus distants et d'un sourire charmant. Il était heureux de la retrouver. Et ce même s'il ne connaissait pas encore l'aboutissement de cette soirée.

Ce fut alors que la grande porte en bois de chêne s'ouvrit sur une nouvelle invitée, peu attendue. Elenna, dans toute sa splendeur de reine de l'hiver, glaciale. Elle était belle et imposante. Même Römhen se tut de surprise et d'ébahissement. La salle sembla se taire lors de l'annonce de son nom, avant que la fête ne reprenne son rythme.
Elle arriva auprès des frères, mesquine. Leandry laissa le roi saluer son épouse avant d'en faire de même, agrémentant le tout d'une légère courbette.
-Quel plaisir de vous voir ici, ma reine, déclara-t-il dans un épais mensonge provocateur.
Puis, se tournant vers la foule qui s'abreuvait de vin ou virevoltait sur la piste de danse, il en déduisit que tous les invités devaient être arrivés. A moins que leur père ne revienne d'entre les morts pour fêter cette mascerade run, alors le meilleur quatuor de l'Empire était complet.
-Bien, commença-t-il, s'adressant à tout le monde et personne à la fois, la fête ne pourrait-elle pas réellement commencer, dorénavant ?
Vite. Détourner la tension qui s'était insinuée entre les amants au sein de la fête, pour oublier, et passer une soirée plus légère.

Son regarda passait de l'un, à l'autre, visitant les visages des trois personnes en présence, se demandant de quoi ils pouvaient bien parler avant que sa personne ne vienne les interrompre. Au moins avait-elle la satisfaction de savoir qu'ici, en publique et dans une assemblée d'aussi grande importance, elle ne se laisserait pas supplanté par la moue boudeuse et faussement innocente de la favorite. Il était déjà suffisamment humiliant que la cour entière sache que son époux noyait ses désirs les plus obscènes entre les cuisses d'une gourgandine au sang noble plutôt que de concevoir l'héritier tant attendue avec sa reine ! La révérence de la Telemnar sonna comme une victoire à ses yeux: il était des avantages qu'une reine avait sur toute autre. La préséance, tout d'abord, puisqu'elle était la première femme du royaume, et le loisir de voir toute autre dame devoir se lever pour la saluer à son passage. Cependant, Elenna ne s'inquiétait guère: Römhen était volage, elle le savait. Satine n'était pas sa première infidélité et elle attendait avec impatience le jour où il se lasserait d'elle comme il s'était lassé de toute les autres avant que son minois ne franchisse les porte de ce château. Car en somme, si Elenna n'avait guère d'appétit pour la gente féminine, elle se devait de reconnaitre une certaine beauté à la catin de son époux: toutefois, rien que le temps ne pouvait habilement flétrir car c'était bien souvent les plus jolies fleurs qui fanaient le plus vite. Le coeur était une chose terrible ... C'est pourquoi Elenna s'était promis de ne plus jamais donner le sien: elle avait déjà manqué de finir telle une jolie petite rose fanée dans les bras d'un vieux roi, pour le compte d'une famille qui se souciait plus de sa fortune que de sa personne. Jamais elle ne commettrait à nouveau une telle erreur. Elenna ignorait ce qui l'agaçait le plus chez la favorite: le fait que son époux se précipite entre ses draps dès qu'elle avait le dos tourné, ou la désagréable réminiscence de sa propre existence que lui imposait la présence de la jeune femme. Toujours était-il que plus elle passait de temps en sa compagnie, moins elle parvenait à supporter ses airs de frêle jouvencelle innocente du monde. Aucune femme ne pouvait atteindre cet âge et faire croire à ses congénères qu'elle avait la pureté d'une plage sauvage.  

Elle se détourna de la jeune femme pour revenir à son époux: nul besoin de sourire de faux semblant, Römhen la connaissait suffisamment pour savoir quand elle jouait la comédie à ce sujet. Elle se garda donc de sourire à l'invitation de se placer à ses côté: c'était une place qui lui revenait de droit, bien qu'à l'idée qu'ils paraissent ainsi tous les quatre comme les plus vieux amis que ce monde ait porté avait de quoi lui donné la nausée. « Rien qui ne vaille pareille inquiétude, je t'assure.  » répondit la blonde à son époux alors qu'il évoquait sa soit disante santé fragile comme motif d'une absence pardonnée. Si elle tenait celle de ses suivantes qui avaient cafté, sans doute lui aurait-elle tordu le cou sur place ! Elle hocha cependant la tête alors qu'il annonçait qu'il leur faudrait partager la prochaine danse. La voix mielleuse du prince Leandry se fit alors entendre. « Plaisir partagé, mon cher frère.  » dit-elle cependant à la salutation d'apparence polie mais subtilement provocatrice de son beau-frère. Lui aussi, elle s'en méfiait comme la peste. Après tout, quel homme destiné au trône y renonçait comme ça ? Qu'importe le prétexte invoqué, Elenna n'aimait pas ça: cela cachait quelque chose et elle brulait d'envie de savoir quoi. De plus, elle ne pouvait s'ôter de l'esprit qu'une partie de ses détracteur, et de ceux de son époux, leur reprochait d'avoir usurpé un trône qui revenait au prince Leandry. De quoi ajouter de la tension aux diners de familles déjà mouvementés ! Si elle devait donner le nom de ses plus fervents opposant, sans doute se serait-ils trouvé dans le quatuor qu'ils formaient: le prince déchu et encore adulé et la putain royale qui avait les faveur de son mari. Ciel, fallait-il que Römhen s'entoure de la sorte ? Si cela ne tenait qu'à elle ...

Mais l'héritier avait raison, il était tant que le Roi donne le signal de départ de la fête et maintenant qu'elle était présente, il n'y avait plus de raison d'attendre. Hochant la tête en observant Römhen pour signifier son accord, elle se prépara à se lever à l'invitation protocolaire que son époux lui devait, tout en espérant profiter de l'instant et de l'intimité de cette danse pour lui rappeler qu'elle était toujours sienne. Elle ne put cependant s'empêcher de regarder en direction des deux délaissés qui ne semblaient pas le moins du monde importunés d'être abandonné et l'invitation que la favorite lança à son beau-frère lui fit lever un sourcil, interrogateur. S'entendaient-ils donc aussi bien ces deux là ? Qu'importe, elle aurait bien le temps de creuser cette histoire plus tard. « Il me tarde que nous partagions cette danse.  » souffla-t-elle à l'oreille de Römhen, la voix pleine de promesse, posant sa main sur la sienne.

Aussi protocolaire que semblait durer les échanges polis entre les quatre dirigeants -insidieux ou pas- des Thorons, Römhen priait son Dieu pour que la soirée se déroule sans grand accro. Pour l'instant, même si les tensions n'étaient pas aussi ferventes qu'il croyait, il choisissait de faire profil bas et d'accompagner Elenna sur la piste de danse quand elle se levait enfin. Il était le souverain et avait le droit... le devoir d'amener sa reine faire les premiers pas de danse. La main tendue vers la femme dont il était foncièrement amoureux, il fronça les sourcils quand il entendit les propos de Satine. Et le roi reprit la place de celui qui lui était réservé. Quelque chose ne sentait pas bon et ça ne lui plaisait pas. Non, lança-t-il fermement envers Satine et Leandry. Il était hors de question que son propre frère se présente au bras d'une autre -qui n'était pas n'importe qui- quand il avait décidé de passer de force la bague au doigt de son aîné. Il est hors de question que l'on te voit avec une autre femme que Salomé. Elle seule se doit d'être à ton bras, donc en attendant, tu patientes. Et c'était toute la perversion de Römhen qui reprenait le dessus, toute l'indélicatesse d'un monarque à la recherche d'un pouvoir qu'il n'était pas officieux à tenir. Encore moins dans ceux de Satine. Il leva les yeux au ciel, un sourire sur les lèvres. Mais pourquoi donc son frère voulait-il danser avec sa favorite alors qu'il savait très bien qu'elle était chasse gardée, bien plus emprisonné que tous les plus grands criminels d'Elenath.

Finalement, il soupirait, presque amusée de la tournure des choses et il se dirigea alors vers la piste, la musique démarrant, laissant Leandry et Satine assis à la place qu'ils occupaient pendant qu'il offrit une révérence à Elenna. Et se rendait-elle compte de la divine beauté qui perlait sur ses beaux cheveux de blé ? Malgré les milles frasques d'infidélité de son mari, entendez-elle que son coeur n'était concentré que sur les battements du sien, en dépit de toutes les coutumes pourtant toujours ancrées en lui ? Il se mit presque à s'esclaffer quand il eut raté un pas pour mieux se rattraper et se laisser guider par la reine Thoron. Elle était bien plus douée que lui, c'était indéniable. Il se penchait vers elle et huma de son odeur, venant déposer un baiser proche de son oreille. Tu sens divinement bon, ma reine. Römhen laissait le manque de coordination lui offrir un peu de juvénile amusement, sans jamais lâcher son coeur de verre. N'as-tu pas vu que le comte de Nansac se tenait près de la dame de cour des Olivieraux ? Je parie qu'il y anguille sous roche ! et cette légèreté lui fit un bien fou, dans toute la complexité du schéma royal.

L'arrivée de la reine avait jeté un froid entre les quatre figures ici présentes. Mais bien rapidement, Leandry avait décidé de ne pas en prendre compte et de l'ignorer, comme il l'avait toujours fait. Il comptait bien passer une bonne soirée. Les bals masqués étaient toujours une belle occasion de fêter, de se faire beau, de profiter librement. Il aimait tout ça et s'en retrouvait un peu plus fier à chaque édition.
Lorsque Satine se tourna vers le prince, lui proposant elle-même une danse, il dut contenir son sourire heureux qui menaçait de s'échapper s'il ne faisait pas attention. Il croisa son regard dans lequel il trouva toute la douceur de l'amour qu'elle éprouvait pour lui. Il aurait aimé s'y perdre, dans cet océan calme. Il aurait aimé, prendre naïvement son bras et l'emmener sur la piste de danse. Il aurait aimé la faire valser. Il aurait aimé vivre ce moment naïf, sous les yeux de tous, leur secret bien caché.

Il s'apprêtait à répondre, ses lèvres déjà entrouvertes prêtes à formuler un Oui, quand la voix grave de son frère remplaça la sienne. Non. Aussitôt, le pétillement dans son regard disparut lorsqu'il se tourna vers le roi. Il refusait que le prince soit vu en la présence d'une autre femme ce soir. Et encore moins Satine.
Le poing de Leandry se serra, ravivant les plaies pas même guéries, plantant ses ongles dans sa paume, alors qu'il regardait Römhen entraîner Elenna sur la piste de danse. Les flammes de la haine à son égard s'étaient attisées. Römhen venait, en un clin d'oeil, lui rappeler qu'il était désormais promis et qu'il ne pourrait jamais aimer Satine. Quel autre sentiment aurait pu le traverser, si ce n'était pas de la colère ?
Alors que la nouvelle musique débutait, lançant le couple royal dans une danse élégante, Leandry se tourna vers Satine.
-Bien Satine, alors prenons place, voulez-vous ? fit-il, lui désignant leurs sièges d'un geste de la main.
Le prince retrouva sa place dans son assise qu'il rapprocha le plus possible de Satine. Il posa son coude sur l'accoudoir le plus proche de sa belle et se pencha vers elle. Cette proximité lui permit de mieux humer son parfum. Il avait très envie d'embrasser son cou. Mais subir à la tentation serait fatal. Alors, il approcha ses lèvres de son oreille.
-Faisons lui regretter son choix, souffla-t-il.
Toujours proche d'elle, son regard se glissa vers les danseurs, plus précisément le couple royal. Même si Römhen dansait avec Elenna, Satine était perpétuellement gardée. Il ne la perdrait pas des yeux. Il fallait s'en servir pour le tourner à leur avantage.
-Tu es vraiment éblouissante ce soir.
Il avait tenu à le lui glisser, comme il n'aurait sans doute aucune autre occasion. Peut-être ne dansaient-ils pas, mais au moins, ils étaient ensemble, quelques instants. Ils devraient s'en contenter.
-Rions avec complicité en regardant Römhen.
Suite à cela, il émit un petit ricanement moqueur. Römhen cherchait la provocation ? La guerre ? Alors il la trouverait. Au diable le bal.