L'air des montagnes était novateur. Une seule bouffée d'oxygène et voilà que tout organisme se retrouvait empli d'une vie nouvelle. Si Leandry aimait beaucoup Calendyr, pour y être né et y avoir passé la majorité de sa vie, il était sous le charme de la cité de Lugan. Au pied des Montagnes Lunaires, cette ville avait un air envoûtant. Une aura bienfaisante. L'endroit parfait pour se reposer quelques jours, loin de tous les tourments de la vie. Et Dieu sait que les tourments, dans la vie d'un prince, ils étaient nombreux.
Leandry prévoyait son séjour à Lugan depuis plusieurs semaines. En y réfléchissant, il avait pensé bon d'y inviter une amie chère à son coeur. Il avait envoyé une missive via une pie rieuse, lui donnant une date, une heure et un lieu de rendez-vous. Leandry y serait. Il l'attendrait quelques heures, puis, il poursuivrait son chemin. Il savait que Talia était très occupée avec ses termes, mais il s'était dit que quelques jours de repos pouvaient être bienfaiteurs.

Alors Leandry attendait, le regard perdu dans le  paysage, sur l'un des remparts de la cité. De là, il avait une vue imprenable sur les montagnes enneigées. Malgré la saison douce, l'air était frais. Mais heureusement, le soleil rayonnant dans le ciel offrait une chaleur réconfortante. Le printemps faisait gentiment sa place dans le monde, comme il le faisait déjà depuis la naissance du monde. Le prince Thoron était toujours ravi de revoir cette saison revenir; c'était pour lui un renouveau. Sentir ce soleil sur son visage lui faisait un bien fou. Alors là, face à ces monstres de pierres gigantesques, il se sentait bien. Il se sentait vivant. Le coeur battant, il réfléchissait patiemment, à sa vie. Ses décisions. Ses questionnements. Ses peurs. Ses doutes. Nombreuses étaient les pensées qui se bousculaient dans sa tête.
Et il espérait que Talia le rejoigne, afin qu'il puisse y mettre un peu d'ordre.

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Son regard, d'habitude aussi assuré que la glace était dure en plein hiver, n'était ce jour-là que des eaux troubles. Des idées secouaient son esprit dans tous les sens et un voile avec couvert ses yeux d'azur qui fixaient, sans vraiment voir, les montagnes devant lui. Il aurait même pu apercevoir ce faucon, pousser un cri perçant, passer en travers de sa ligne d'horizon. Mais ses pensées avaient raison de lui: Leandry pensait à son avenir et comment il allait le jouer. Car le prince refusait de croire au destin. Tous les choix que les humains faisaient avaient des répercussions sur leur vie, qu'ils le veuillent ou non. Rien n'était écrit. Ils avaient tous le pouvoir entre les mains. Si un homme du peuple était suffisamment malin et enhardi, il pourrait grimper les échelons pour devenir roi, s'il le souhaitait. Tout n'était qu'une question de choix et d'action bien menés.
Mais que devait-il faire, lui ? Quelles cartes devait-il révéler au grand jour et lesquelles devait-il garder secrètes pour lui, encore un peu ?

Tout à coup, il perçut du mouvement dans sa vision périphérique. Aussi pensif qu'il l'était, il s'en était rendu compte, car il était seul sur les remparts à ce moment-là. Il sortit de sa contemplation réflexive pour se tourner vers la nouvelle arrivée. Talia se tenait là, ravissante dans une robe bleu nuit décorée de fils d'or qui étincelaient sous les rayons du soleil. Ses pommettes étaient rougies par la fraîcheur de la ville, elle qui était pourtant habituée au sud et aux douces chaleurs du printemps. Ses cheveux d'ébène encadraient à merveille son merveilleux visage de poupée, au sourire contagieux.
Elle se présenta on-ne-peut-plus-poliment au prince, bien que ce dernier savait qu'elle était très peu pour toutes ces manières qu'obligeait la noblesse. Talia était bien l'une des seules personnes de tout ce royaume avec qui il pouvait briser ces complexes de haute société. Il ne s'en priva pas d'ailleurs;
-Talia, chantonna-t-il, heureux, la prenant dans ses bras pour une accolade chaleureuse.
Malgré le long voyage, son être émanait encore des envoûtantes odeurs d'encens qui flottaient dans les bains. Elle ne quittait jamais réellement son antre, même à des kilomètres de celui-ci.
-Comment était le voyage ? s'enquit-il en se reculant. Je ne voulais pas te forcer en t'invitant dans l'empire. Mais je pensais qu'une pause te serait peut-être bénéfique.
Pensait-il au break de Talia, ou à son besoin de confidence, lorsqu'il l'avait invitée ? Talia connaissait beaucoup de choses sur le prince, elle aurait d'ailleurs pu revendre de ces informations à mauvais escients. La seule chose, probablement, qu'elle ne savait pas dans son entier était sa relation avec Satine. Elle savait bien qu'il était épris d'une femme et que c'était compliqué... Mais il ne lui avait pas encore révélé que son amour défendu était également la favorite de son frère, le roi.
Il se tourna vers les montagnes, se mettant de profil à la brunette. Il ouvrit grand les bras en prenant une grande inspiration.
-Ne trouves-tu pas l'air des montagnes revigorants ?

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Maintenant qu'elle était arrivée jusqu'à lui, il se sentait mieux. La solitude ne l'étreignait plus, sa présence repoussait au loin ses réflexions qui envahissaient sa tête. Talia aussi, était heureuse de retrouver son ami. Son visage s'illuminait d'un sourire contagieux. Lorsque la brunette relatait son voyage sans encombre, le prince ne put s'empêcher de commenter à voix haute:
-Les routes sont paisibles ces derniers temps. Peut-être trop, même.
Tout le monde connaissait bien ce diction: avant la tempête, le calme. En effet, les agressions durant les voyages étaient rares ces derniers temps. Les gens, au fond d'eux, se préparaient-ils déjà à une guerre ? La guerre ombreuse avait-elle gagné tous les coeurs, toutes les têtes ? Leandry faisait tout pour ne pas s'en préoccuper, mais il était tout droit concerné par celle-ci... Puisque les Heledir voulaient voir la tête de la famille Thoron en haut d'un pic.

Quand il entendit le compliment vers l'empire Thoron de la jeune femme, Leandry ne put s'empêcher de rire. Tout le monde était chauvin envers sa terre natale, mais il devait avouer que Thoron était de loin l'empire le plus beau du continent. Bien entendu, les îliens de Galadhorn seraient les premiers à contredire ce fait, mais il était plaisant pour Leandry de se conforter dans sa pensée première.
Prenant un air plus sérieux, Talia fit quelques pas, rejoignant Leandry à la balustrade qui les séparait du vide, face aux montagnes. Elle se doutait bien qu'elle n'avait pas parcouru tout le pays pour de simples retrouvailles. Le prince se pinça les lèvres, baissant légèrement la tête, lui adressant un regard entendu. Elle avait misé juste. Au-delà des conseils d'une amie chère, Leandry avait surtout besoin d'être entendu par une oreille neutre et de confiance. Le Thoron savait qu'il pouvait parler de tout avec Satine, mais ce sujet la rendait folle, et elle n'avait pas tord de le devenir. Talia, elle, saurait prendre de la distance avec tout cela.
L'homme regarda autour d'eux. Des gardes surveillaient les remparts non loin, d'autres personnes étaient là pour admirer la vue. Il ne tenait pas particulièrement à parler de ses problèmes en public. Seules les montagnes silencieuses et l'avisée Talia avaient l'oreille nécessaire pour l'écouter.
-Nous pourrions marcher un peu ? suggéra-t-il.
Il passa l'un de ses bras sur les épaules de son amie et l'accompagna aux escaliers pour descendre des remparts. Il connaissait une adresse à quelques pas de là où ils pourraient sans nulle doute s'abreuver et discuter sans peur d'être écouté par une oreille indiscrète.
-Comment vont les affaires ? L'Ecrin Doré ? s'enquit-il pour meubler la conversation jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination.

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Talia savait que quelque chose se passait dans la tête de prince. Elle le pensait très fort, mais ne le disait pas. Ca se lisait dans son regard. Cette pointe d'inquiétude dans les reflets marrons de ses iris. Il la connaissait bien. Les années défilaient et leur amitié se consolidaient. Leandry aurait souhaité pouvoir la retrouver plus souvent, mais leurs retrouvailles ne seraient pas autant attendues. Il ne la reverrait pas avec autant d'engouement. Finalement, c'était un mal pour un bien.
Alors, Talia parla de l'Ecrin Doré. Une aubaine. Elle avait réussi à trouver la poule aux oeufs d'or. En effet, assembler à la fois bain et plaisirs charnels, voilà une parfaite combinaison. Une combinaison qui aurait ravi un jeune Leandry dans la fleur de l'âge. Malheureusement pour lui, le prince avait quelques années d'avance.
-La réussite continuera. J'en suis certain. La singularité de l'Ecrin Doré fera parler de lui pendant des siècles encore.
Il lui adressa un sourire chaleureux. Car si les routes pouvaient être parfois calmes, parfois mouvementées, le plaisir était indémodable. Jamais rien n'empêchera les hommes de trouver la jouissance dans les bras des jolies filles.

D'ailleurs, Talia aborda justement le sujet des amours. Heureusement, ils arrivaient à cet instant devant la petite auberge. Elle était située dans une petite rue en perpendiculaire de l'avenue passante, ce qui lui conférait un charme, car bien aménagée, entretenue, où y boire de bons vins assez coûteux. Ainsi, les badauds amateurs d'hydromel et de bière ne s'agglutinaient pas dans ce lieu.
-C'est justement ce dont il faut que je te parle, chuchota-t-il en posant une main sur son épaule.
Puis, il l'entraîna dans l'auberge. Il y fut rapidement reconnu. Le tenancier le salua et lui désigna sa table. Celle qu'il occupait à chacune de ses venues à Lugan. Une table au fond de la pièce, plus éloignée des autres, afin de pouvoir entretenir des discussions plus discrètes. Ils prirent place l'un en face de l'autre et l'homme, qui était plutôt en embonpoint avec un ventre rempli de bonne graisse car gourmand, vint rapidement prendre leur commande.
-Mettez-nous deux verres de votre meilleur vin.
Il hocha la tête, puis s'éloigna. Enfin seul, Leandry se pencha sur la table, posant ses coudes sur celle-ci.
-Mon frère s'est mis en tête de me fiancer, finit-il enfin par confier.

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La manière avec laquelle Talia traitait Leandry le faisait doucement sourire. Ils se connaissaient depuis plusieurs années déjà et depuis longtemps le masque était tombé; ils se considéraient comme des amis à la même échelle sociale l'un que l'autre. D'ailleurs, la brunette savait qu'en l'appelant mon prince, en le saluant de courbettes ou en le vouvoyant, ça avait le don de le faire rire, ou de le vexer, tout dépendant le sérieux de la situation.  S'il y avait bien une personne avec qui il avait le sentiment de n'être qu'un homme lambda, c'était avec elle. Et ça lui faisait un bien fou. Il aimait cette vie de noble et de richesse, le prince. Mais retomber dans les échelons plus simplistes le délestaient d'un certain poids sur ses épaules.
Lorsqu'elle s'étonna que Leandry ne commandait pas moins que le meilleur des vins de la cave de l'aubergiste, il souleva un sourcil. Peut-être appréciait-il la simplicité en sa compagnie, il était loin d'oublier la saveur des bonnes choses. Les bons vins faisaient partis intégrantes de ces petits plaisirs qu'il ne se refusait que très rarement.

Puis, suite à l'annonce de sa nouvelle, il découvrit le sourire qu'elle retenait de s'étendre sur ses lèvres. Non seulement Leandry s'ouvrait à elle, mais en plus elle se moquait ? Elle ne s'attarda pas pour lui révéler haut et fort tout son avis sur la question. Seulement, le prince n'en pensait pas moins, lorsque ça le concernait. Il ne prit pas à mal la réaction de Talia, il ne voyait là qu'un simple franc parler rieur que pourrait lui accorder sa soeur, s'il en avait eu une. Au moins, ça permettait à Leandry de prendre une certaine distance sur la question. De prendre ce sujet moins à coeur.
-Je ne mérite aucune éloge, bougonna-t-il dans sa barbe.
Puis reprenant son sérieux, il répondit à sa question;
-Il s'agit d'une noble, issue d'une famille ayant juré allégeance à la mienne depuis plusieurs générations. Mon frère songe bon d'endurcir ces liens.
Sur la fin de sa phrase, l'aubergiste revint et présenta à la tablée la bouteille qui présentait plutôt bien. Il assura au prince qu'il s'agissait de la meilleure, ce à quoi il hocha la tête. Il leur versa une coupe chacun, laissant ensuite la bouteille sur la table, au cas où ils désireraient se resservir.
-Je lui ai dit que je ne voulais pas. Cependant... Il tient à ce que nous assurions... Une descendance à la famille.
Car en effet, la Reine Elenna ne parvenait toujours pas à lui donner d'enfant. Et l'aîné, dans son célibat masqué aux yeux de tous, semblait bien loin d'engrosser légitimement une femme, quelle qu'elle soit. D'humeur morose, Leandry rapprocha son verre de lui, le remuant pour en faire remonter les effluves. L'humeur de trinquer n'était pas réellement, mais les retrouvailles avec sa tendre amie en valaient la peine. Soulevant sa coupe, il déclara :
-A nos retrouvailles.

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Leandry était heureux d'être là. Il était heureux d'avoir Talia à ses côtés. Il se sentait plus léger. Avec cette femme au destin si différent du sien, tous ses problèmes lui paraissaient relatifs. Certes, ils avaient tous les deux des soucis. Mais les raconter l'un à l'autre permettait de relativiser. De se rendre compte que, finalement, cette montagne n'était peut-être pas infranchissable. Son esprit divaguant un instant, il se dit que la vie faisait tout de même bien les choses. Quelles étaient les probabilités pour qu'une catin et un prince se retrouvent, s'apprécient et se lient d'une amitié forte ? Très faibles. Réellement très très faibles. Pourtant, c'était arrivé. Ils en étaient la preuve vivante. Et jamais Leandry ne voudrait perdre cette relation, malgré le fossé qui les séparait l'un de l'autre.

Talia leva son verra à son tour, en profitant pour lancer une légère boutade comme elle savait si bien le faire. Leandry sourit nerveusement. Une union fertile et passionnelle. Oui. C'était ce qu'il était censé promettre à cette femme. Mais rien que d'y penser, il sentait un goût amer s'étendre dans sa bouche. Leandry était réaliste et se savait capable de beaucoup de choses. Mais de cela, il le savait, il en était incapable. Il n'était pas certain de rendre, ne serait-ce qu'une seule d'entre elle, une femme complètement heureuse. Il aimait Satine, mais jamais il ne pourrait révéler son amour pour elle au grand jour. Il ne voulait pas de mal à sa promise, mais il ne pourrait jamais répondre à ses attentes.

Leandry s'était perdu dans ses pensées. Son regard d'azur s'était noyé dans le carmin du vin dans son verre, qu'il faisait tourner légèrement, d'un geste de la main à peine perceptible. Puis, la brunette reprit la parole, voyant bien que quelque chose occupait l'esprit de son ami. Alors il la regarda, expulsa de l'air par ses narines en hochant la tête. Il étala sur ses lèvres un sourire plat, neutre, perdu.
-Quel est ton idéal de vie, en tant que femme, Talia ?
Il ne répondait, évidemment, à aucune de ses questions précédentes. Il répondait par une question, suggérant qu'il était égaré et qu'il avait besoin de retrouver sa lumière.
-Que souhaiterais-tu vivre, impérativement, avant de périr ?
Pas très rassurant, comme discussion. Mais Leandry avait besoin de réponse. Besoin de savoir, d'avoir l'avis d'une femme, sur son idéal. L'avenir qu'elle pouvait chérir. Afin de peut-être, faire disparaître quelques nuages qui brouillaient ses pensées.

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Leandry comptait beaucoup sur la réponse de son amie. Il espérait qu'elle l'aide à dissiper ces doutes qui s'étaient ancrés profondément dans son esprit. Il se sentait terriblement coincé dans cette situation, et il ne savait pas quoi faire pour l'arranger. Refuser le mariage, contredire ses devoirs, révéler au monde sa relation avec Satine, risquer la sentence pour cet acte. Il s'était enfoncé dans un sacré pétrin, Leandry, et il ne savait pas comment s'en sortir en épargnant le plus de monde.
La brunette réfléchit l'espace de quelques instants, en profitant pour se délecter de son vin. Leandry l'imita. Décidément, il y prenait goût, à cette succulente piquette. Le niveau de son verre ne cessait de descendre, sans même qu'il ne s'en aperçoive. D'autant plus qu'il était très concentré sur la discussion, très peu sur son verre, et donc il ne le voyait pas descendre. Elle évoqua alors la gloire, la richesse, la famille. A cette dernière idée, le prince tressaillit. La seule famille qu'il avait encore était Barahir. Il n'avait pas d'enfant et pour l'instant, aucun successeur au trône n'était né. De plus, il ne pourrait jamais donner de famille à Satine. Ou du moins, pas s'ils continuent de vivre dans le secret.
Alors, elle s'expliqua sur le besoin de sécurité, qui pouvait se décliner en plusieurs versions. Ce qu'elle disait était réellement intéressant. Leandry l'écoutait, réellement concerné, buvait ses paroles. Puis, elle termina son verre et il se rendit compte que le sien était vide. Alors il se saisit de la bouteille demeurée dans un coin de la table et remplit leurs deux verres. Ce vin allait se boire sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Le gérant leur avait réellement amené la meilleure de ses étiquettes, ses deux clients n'étaient pas déçus.

Elle termina sur le fait qu'elle n'espérait ne pas mourir si vite avant de lui retourner la question.
-Je ne te le souhaite pas. Tu as encore de grandes choses à accomplir.
En effet, Talia n'était qu'au début de sa réussite. L'Ecrin Doré fonctionnait à merveille, de quoi parfaitement lui remplir ses poches. Si jeune et déjà un avenir tout tracé sous la richesse. Elle n'en était qu'au début. Elle avait encore des années devant elle pour parfaire ses affaires, les étendre.
C'était à son tour de lui faire part de sa réflexion. De son idéal de vie, de ce qui le poussait à vivre. Ses objectifs. Qu'est-ce qui le poussait à avancer dans la vie ? Son frère, évidemment. Il n'en pouvait plus de le savoir éprise de la manipulatrice qui était sa femme. Satine, également, la femme pour qui il irait décrocher la lune mais qu'il ne pouvait pas afficher publiquement à ses côtés. Pour son peuple, qui lui appartenait moins depuis qu'il n'était plus que le prince, mais pour qui il était toujours prêt à tout.
-Tu as la chance de pouvoir penser à toi, Talia. Ma raison de vivre revient à ma famille. Au peuple que nous devons protéger, mon frère et moi. Nous ne sommes plus que tous les deux, et il n'y a personne pour reprendre la place de Barahir. Ca m'inquiète.
Il baissa son regard, le noya dans l'alcool de son verre.
-Plutôt paradoxal avec cette promesse de mariage que je souhaite fuir.
Il étouffa un rire qui se termina dans un souffle de son nez. Oui, Leandry voulait une famille. Il la chérirait plus que tout au monde. Mais il ne voulait pas la fonder aux côtés d'une femme pour qui il n'éprouvait rien.
-Je n'éprouve rien à son égard. Barahir ne veut pas l'entendre. J'aime quelqu'un d'autre, et je ne peux lui dire.
Une nouvelle gorgée. Pour oublier cet aveu qui lui faisait de la peine d'être avoué à haute voix. Pour qui Leandry vivait-il vraiment ? Ne devrait-il pas cesser de vivre pour les autres et vivre pour lui ? Cette idée lui était inconcevable, venant de la part d'un prince.

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L'alcool semblait monter bien plus rapidement à la tête de Talia qu'a celle du prince. Déjà, les joues de la brunette se teintaient de légers reflets carmins et ses yeux devenaient vitreux, distrait. Il remarqua qu'elle avait de la peine à garder le sérieux de la conversation. Probablement que le Thoron ne se laissait pas encore aller pour ressentir les effets du millésime. Il était trop concentré sur sa cause qui lui tenait à coeur. Mais bientôt, le vin aurait raison de lui et il ne pourrait lutter.
Alors, Talia suggéra au prince de fuir avec elle, et elle éclata de rire. En soi, cela ne dérangerait pas Leandry. Il avait toujours apprécié la bonne compagnie. A l'Ecrin Doré, il ne s'ennuierait jamais, c'était certain. Il était déjà charmé par les lieux et toute la luxure qui émanait d'entre ces murs singuliers. Mais il ne pouvait pas. Il était bien trop loyal à Thoron, bien trop fidèle à Satine. Probablement les deux choses qu'il chérissait le plus au monde. A cette boutade, le prince ne répondit que par une nouvelle lampée de vin, alors que la brunette poursuivait. Elle s'avançait sur un sujet qu'elle maîtrisait bien. Faire de Satine sa maîtresse attitrée était plutôt une bonne solution. Le hic étant qu'elle portait déjà ce titre envers un autre homme. Son frère.
-Le constat étant qu'elle est déjà la maîtresse de quelqu'un de réellement possessif, avoua-t-il, l'alcool aidant sa sincérité originelle à dénouer sa langue ténue par ce secret.
Talia s'avança sur la table, posa sa main sur le dos de celle du prince, le regardant droit dans les yeux, comme si elle était prête à lui faire une confidence. Elle avoua qu'elle tuerait pour avoir une place au sein de la cour. D'ailleurs, Leandry en était surpris que le roi Amras ne l'eusse pas encore contactée à ce sujet. Les chansons à son égard se colportaient jusqu'à Thoron, traînant derrière elles les rumeurs sur sa violence et son désir inégalé pour les femmes.
La même main se dressa soudainement dans les airs alors qu'elle commandait une nouvelle bouteille. Un sourire amusé s'étendit sur les lèvres de Leandry. Elle avait de la suite dans les idées.
-Tu n'as rien à envier de la cour. Il ne s'y passe que des crêpages de chignons sans importance et rumeurs de bas étage sont lancées à ton égard au moindre faux pas.
Un sourire entendu aux lèvres, il la pointa du doigt.
-Tu es déjà la reine de l'Ecrin Doré. Tu offres à tous ces hommes issus de grandes familles des plaisirs charnels qu'ils ne peuvent s'autoriser dans leur petit quotidien morose avec leur femme.
L'aubergiste arriva rapidement avec une nouvelle bouteille. Rapidement, il remplit les verres vides et leur tourna le dos en emportant avec lui le contenant épuisé. Galvanisé par l'alcool dans ses veines, il vint à se questionner sur sa propre relation; elle n'avait rien de courant, c'était certain. Et c'était sûrement cela qui la rendait si excitante; échanger des émois torrides dans la peur constante d'être découverts. Si au début de leur relation, cela était appréciable, les sentiments grandissants à l'égard de Satine ne lui préféraient plus ce secret.
Prenant une moue dubitative, il secoua la tête.
-Tu n'as rien à envier à toutes ces femmes de la cour. En plus, tu les domineraient toutes ! Santé ! lança-t-il en l'honneur de la nouvelle bouteille qu'ils entamaient.
En effet, il connaissait Talia et savait qu'elle n'était pas la matrone de l'Ecrin pour rien. Elle en imposait, avec beaucoup de prestence et de confiance en elle. Une ennemie intimidante pour ceux qui ne l'avaient pas de leur côté.