L'évasion du fauve.

Le ménestrel montre au public ébahi l'araignée velue qu'il porte dans sa main et qu'il caresse depuis de longues minutes, criant à tue-tête que son venin est le plus mortel de tous. Celle-ci gigote, ce qui fait peur aux enfants, et l'écho de leur cri parvient jusqu'à la porte du palais.
La grande place aujourd'hui est particulièrement agitée. Jour de marché, temps ensoleillé, les ménestrels s'échinent à ramasser quelques pièces. Jongleurs, montreurs d'ours, troubadour déclamant de longs discours, tout est là ce jour réuni pour plaire aux petits comme aux grands.
L'agitation est telle que nul n'entend le cliquetis que fait la ferraille lorsqu'elle tombe au sol. Nul ne voit le fauve pousser de la tête la porte qui désormais n'est plus la gardienne que du vide. Et l'animal affamé pousse un hurlement qui fait frémir tous les passants.  Effrayé, engourdi, il regarde autour de lui le gigantesque tohu-bohu que provoque sa sortie inopinée. L'afflux de mouvement l'emplit d'une peur sourde, et, soudain, il se jette dans la foule.

L'évasion du fauve.

Le soleil est levé depuis plusieurs heures. Autant d’heures que Destan a passé au palais royal afin de travailler. Sa journée a débuté à l’aube par l’entraînement des soldats du château, qu’il a observé avec attention avant de se joindre à eux pour s’entretenir. Plus les jours passent, et plus le connétable est satisfait du travail qu’il fournit. Mais ce n’est pas suffisant. Il doit encore faire plus. Avant que la guerre n’arrive, ce qui lui semble de plus en plus inévitable.
Destan n’est pas un homme à se leurrer. Il a trop voyagé, trop vu le monde, les hommes qui le compose, trop vu d’horreur aussi. Aussi décide t-il de quitter plus tôt que prévu le palais pour aller se promener dans les rues de Taewyn. Il est vêtu sans ostentation, bien que ses vêtements de bonne qualité indique son statut social. Son épée au côté, seule, montre quelques traces d’usures qui montre qu’elle a mainte fois servi par le passé.
Il se laisse entraîner par les habitants, tous se dirigeant dans une seule et même direction : la place du marché. Une part de lui répugne à y aller. Il n’aime pas la foule, mais il se dit qu’il y a sans doute des choses intéressantes à voir. Et puis, gare aux voleurs si il en voit.

Il observe les tissus chamarrés, respire l’odeur de la nourriture qui flotte dans l’air. Il fait comme tous les autres, il ne fait attention à rien. Jusqu’au moment où il commence à entendre les cris, les hurlements, et le mouvement de foule qui arrive. Les gens qui se mettent à courir. Destan remonte la foule en sens inverse, se prenant quelques chocs au passage. Il a vu pire. Lorsqu’il arrive à un endroit où la foule est moins dense, il capte du coin de l’oeil une jeune femme qui glisse sans main sous sa jupe pour en saisir une dague. Il rit presque, se disant qu’on n’est jamais vraiment sûr de ce qu’il y a sous les jupes d’une femme lorsqu’il entend un grondement sourd qui ne peut provenir que d’un animal. Et en parlant d’animal il se fige en regardant le fauve en liberté. Il est bousculé encore une fois, mais continue d’avancer. Sa main est posée sur son épée, prête à être dégainée. Il ne faut pas qu’il passe à l’attaque. Il se martèle cette phrase dans sa tête. Soudain, un autre choc. Il baisse la tête pour faire la femme qu’il a vu se saisir de la dague. Elle n’a pas l’air d’avoir peur, mais si elle pense tuer cette bête avec cette dague, elle fait erreur. Enfin c'est ce qu'il suppose « Vous allez bien? » demande t-il simplement en baissant le regard sur elle une seconde avant de le reposer sur la bête, sans la quitter des yeux. Il faudrait qu'il puisse dégainer, mais dans cette foule, c'est trop dangereux, il risquerait de blesser quelqu'un.
Destan n'a pas peur, ou du moins, si il a peur, il ne la ressent pas, il la contrôle, comme il se contrôle lui-même.