… I know that you're dying
And I know I'm unwell
And together we sashay
Through variations of hell…
Silver mt Zion
***
Les lourdes portes se rient de lui, les dorures étincelantes lui renvoient un reflet satiné de rancœur sourde et de colère terrible.
Il est presque étonné par lui-même, l’extérieur aussi serein que l’intérieur n’est en ébullition. Il veut pétrir et salir et voir se recourber tout ceux qui ne savent pas encore, tout ceux que l’ignorance béate garde dans un calme relatif. Joan inspire, la trachée en feu, les lèvres aussi blanches que les jointures de ses mains qu’il serre trop fort – si fort que les ongles s’enfoncent dans des paumes déjà meurtries. S’il la tient – quand il la tiendra – il lui fera payer ces instants séculaires, cette nauséabonde douleur qui lui vrille les tempes.
En attendant…
Joan s’efforce de garder une conscience limpide mais le silence qui l’entoure s’épaissit dangereusement. Les appartements royaux sont mâtinés d’une fine couleur grenat, l’ivresse du sang en pellicule constante sur un royaume dirigé par un roi rouge. Joan préfère le lui dire lui-même avant que les rumeurs ne courent, cramoisies de scandale et de turpitude vénéneuse. Il préfère être celui qui dégueule cette humiliation au pied de son suzerain, front relevé et promesse de vengeance gravé au cœur plutôt que d’en voir un autre s’en servir. La meilleure défense après, c’est bien l’attaque.
Il y a de la distance entre ses pensées et son corps qui s’élargit, qui agrandit inévitablement ses pupilles aux reflets cobalt sous la lumière. Amras est plus qu’un potentat à ses yeux même s’il rechigne à se l’admettre, cachant son amitié derrière une fidélité absolue qui se veut naturel envers son monarque. Ils ont fait leurs classes ensembles, à couteaux tirés ; ils ont partagé les bleus et les plaies et s’en sont toujours sortis indemnes, la protection d’une noblesse figée dans leurs sangs respectifs. Il n’a jamais songé à ne pas suivre son roi – jusqu’au vertige, la volonté liée en cordes sévères à cette loyauté indéfectible qui l’habite.
Il est venu informer son roi et s’aperçoit quand il croise enfin son regard t qu ce-dernier l'autorise à parler- que c’est de confiance dont il a besoin. Joan ravale l’amertume sur sa langue. L’infamie a un gout de métal carbonisé. Le dédale de ses mots se perd sur sa langue d’ordinaire efficace. «
Votre altesse. » Le protocole même s'ils sont seuls; une autre forme de respect. Une convulsion lui égratigne la carcasse tandis qu’il s’avance vers la haute taille du souverain. «
J’ai bien peur d’avoir une étrange nouvelle à vous soumettre. » Il a un rictus avant de tordre ses mains, l’une dans l’autre, le torse sanglé dans le même cuir que la veille. «
Rien qui ne concerne le royaume évidemment. C’est… personnel. » Le mot est une vaste plaisanterie dont il a cruellement conscience. Absolument rien n’est personnel dans cette contrée. Ceux qui s’en donnent encore l’illusion sont soit naïf, soit stupide, ils le savent bien. Les royautés sont faites pour paraître et contraindre, sinon elles se transforment en château de sable, les fondations trop fragiles sous les crocs voisins. Gwelnaur se nourrit d'autres choses, de métal brisé et des cendre en guise d’acquiescements tacites – le pouvoir ne se plie que devant ceux qui le prennent. Amras sait se peindre les lèvres rouge de sang lorsque nécessaire et l’âme en marbre de Joan s’y repose tout à fait dans une immobilité conquise.
Le conseiller cesse de marcher, le souffle se tord sur sa langue jusqu’à lui obéir enfin. On ne naît pas à Gwelnaur et dans sa cours sans savoir se maîtriser à l’excès. Pour le meilleur parfois. Toujours pour le pire. «
Ma charmante épouse a décidé de prendre le large. A trop laisser de liberté, la perruche finit toujours par s’envoler. Elle ne tiendra pas un mois hors de notre ville. » Parce que c’est ça qui l’étreint, l’assurance qu’elle ne parviendra
jamais à s’en sortir. Elle va lui revenir en pleureuse, des pleurs sillonnant son joli visage, des traces d’autres mains sur son corps trop frêle, des… la colère reflue à nouveau. Il la tuera lui-même dés qu’elle sera à nouveau dans son champ de vision alors peu importe.
Peu importe.
La tension se relâche d'un simple cran, comme si l'aveu formulé lui retirait le poignard d'un muscle torturé. Il relève un regard prudent, l'ironie perlant presque au coin des lèvres. Il n'en aurait fait aveu à personne d'autre, encore moins en ces termes mais voilà - il n'y a plus rien de personnel face au roi.
(il n'est ni naïf, ni stupide après tout)
Joan cille, des résolutions incendiaires effleurant sa peau. «
Je ne serais pas contre un verre, votre majesté. » Et c’est peut-être la première fêlure réellement visible pour celui qui ne boit quasi jamais.