fear the beasts that wander through the night
@Seraphine Echevin & @Johr Leander.Sept cavaliers firent halte sur la route menant au royaume thoron. Un petit homme trapu, situé à droite de l’imposant homme de tête, sauta de sa monture à la robe d’ébène. Les pâles rayons du soleil mourraient sur son manteau noir. Ses cinq compagnons affichaient les mêmes atours sinistres.
Le petit homme s’accroupit, inspecta le sol en parcourant les empreintes de ses doigts, puis leva la tête en direction du chef de la bande.
—
Ils se sont arrêtés là, capitaine. Deux cavaliers légers. L’un d’eux s’est dirigé vers la forêt au pas de course.Le pisteur montra du doigt une armée d’arbres aux troncs hauts et fins, semblables à des lances gigantesques.
D’un signe de tête, le capitaine Johr Leander appela deux autres Corbeaux. Les sombres mercenaires mirent pied à terre, tirèrent leurs épées du fourreau et s’enfoncèrent dans les bois en suivant les traces.
Au centre de la formation des Corbeaux, un homme bedonnant réprimait sa peur en serrant la bride de sa jument tachetée. Il n’arrêtait pas de se demander pourquoi il avait renseigné ces mercenaires à la réputation sanguinaire. La réponse restait invariablement la même : si son œil ne l’avait pas trompé, la récompense promise financerait trois, voire quatre semaines de consommation à la taverne de Dyrka. Avec quelques extras au bordel, le temps que sa femme enceinte expurge leur troisième bambin de son ventre prêt à éclater.
L’attente fut de courte durée.
Les Corbeaux revinrent avec une expression hilare sur le visage. L’un d’eux dressa la pointe de sa longue épée sous le nez de Johr, qui s’empara du morceau d’étoffe cloué à l’extrémité.
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Ça correspond au manteau d’la cible, chef. Même tissu de peigne-cul, même couleur d’tafiole que sa tenue d’voyage, d’après la vieille truie qui nous a rancardés.Il rangea fièrement son épée. Son acolyte gloussa, puis écarta les mains comme s’il décrivait une tourte.
—
À en juger par l’épaisse commission de notre riche ami, ses nobles intestins sont particulièrement fragiles. À moins que la peur ait actionné le relâchement de ses sphincters, auquel cas j’imagine cette peur d’un bleu aussi vif que son fringuant manteau.Son acolyte secoua la tête, l’air de dire que son compagnon racontait des inepties.
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J’vous la fais courte, chef : ce fils de pute chie dans son froc, et je plains l’mercenaire qui doit s’coltiner ce sac à merde.Éclats de rire parmi les Corbeaux. Rire nerveux chez le citadin qui flairait le dénouement de cette affaire – et l’odeur de sa prime dûment gagnée.
Seul Johr resta stoïque, yeux plissés en direction de l’horizon où disparaissait le chemin de terre. Sa main fouilla dans son manteau, puis lança derrière lui une petite bourse qui tomba dans les mains fébriles de l’informateur.
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Retourne d’où tu viens, porcelet. Et raconte autour de toi que les Corbeaux de Gwelnaur savent se montrer généreux envers les loyaux sujets du roi Amras.L’homme marmonna un « o-oui, mon seigneur » au large dos du capitaine, se demandant comment il avait pu viser aussi juste sans même se retourner un court instant. Il jeta un dernier regard inquiet aux cinq tueurs qui le dévisageaient avec une mine lugubre, puis volta sa monture qu’il mit aussitôt au galop.
Les Corbeaux éclatèrent de rire. Celui de Johr résonna plus fort que les autres.
—
Que décidez-vous, mon seigneur ? fit le pisteur en caricaturant la voix du citadin, ajoutant une courbette grotesque à son mime.
—
Fiche-toi encore de ma gueule, rejeton de fouine, et j’enfonce ma lame si profondément entre tes petites fesses que tu resteras courbé jusqu’à la fin de tes jours !Nouveaux éclats de rire. Chacun reprit sa place dans la formation, que Johr dominait de sa haute stature.
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La nuit approche. Allez prendre du bon temps à Dirka, je vous y rejoins demain. Par Legnar ! On ne va pas quand même pas s’y prendre à six pour égorger un misérable crétin diarrhéique ! Avec un peu de chance, son protecteur sera assez habile pour m’offrir une cicatrice de plus.↯
Quelques heures plus tard…La lune flottait dans un ciel obscur, baignant le sous-bois d’une lueur fantomatique.
Johr se déplaçait d’un pas sûr entre les arbres, guidant par la bride son cheval aux proportions aussi impressionnantes que celles de son maître. Les oreilles du destrier aguerri ne cessaient de pivoter, tandis le mercenaire ignorait crânement les bruits inquiétants de la nuit. Tous ses sens restaient cependant en alerte. L’homme avançait avec l’assurance des grands prédateurs qu’aucun danger naturel ne pouvait atteindre. Son regard captait la lumière d’un petit feu, judicieusement situé dans un espace densément boisé.
Un mercenaire suffisamment rusé pour camoufler son feu… n’en allumerait pas à une si faible distance de la frontière. Hormis la présence d’un tueur à ses trousses, les patrouilles étaient fréquentes. Et la cavalerie gwelnaur n’était guère réputée pour son laxisme. Johr en déduisait que le nobliau de pacotille avait exigé ce grave manquement aux précautions d’usage.
Son arrivée alerta les deux chevaux à l’orée du petit campement, dont Johr évalua rapidement la physionomie d’un œil expert. La jument, avec son œil vif et ses muscles saillants, dominait son indolent compagnon. Johr pouvait espérer en tirer un bon prix. Ou teindre sa robe en noir pour servir de monture à un Corbeau.
Trois claquements de langue précis ordonnèrent à son cheval de s’immobiliser. Johr approcha alors du feu, mains levées en signe de paix. Avec son long manteau noir et la capuche qui masquait ses cheveux argentés, le mercenaire avait l’allure d’un voyageur au physique robuste.
Son regard ne s’attarda guère sur la masse ronflante allongée près du feu, couverte d’une épaisse couverture. Un léger mouvement alerta ses sens aiguisés, et son visage se leva vers les hauteurs d’un arbre.
Intéressant, se dit Johr alors qu’un frisson d’excitation remontait le long de son échine.
Le capitaine des Corbeaux se plaça en face de la femme qu’il venait d’apercevoir, de l’autre côté du feu, puis s’assit derrière cette barrière naturelle. Il fit glisser de son épaule une outre maintenue en bandoulière, ôta le bouchon avec ses dents et la porta à ses lèvres. Après deux goulées, il cracha un liquide vermeil sur le feu qui reprit aussitôt de la vigueur. L’homme but alors une autre gorgée, referma l’outre et la déposa à côté de lui, sur une pierre propre où s’était manifestement posé un postérieur.
Hommage au dieu du feu, invitation à boire.