Un vent puissant venait rafraichir l’atmosphère tiède du printemps, masquant au grès de son envie les rayons chauds sous un ciel de nuages. Salomé avait quitté Calendyr la veille sous un soleil prometteur, mais plus elle chevauchait vers l’est, et plus celui-ci se faisait timide. Il était à peine seize heures que le crépuscule tombait déjà à une vitesse folle et les bois qui bordaient la route revêtaient leurs habits de nuit. Ils offraient un terrain fertile à l’imagination, et bien que Salomé prête peu de crédits aux légendes de monstre et d’esprit elle ne pouvait réprimer un frisson. Sa cape richement brodée la protégeait du froid, mais certainement pas de la nuit.

Il lui semblait que dans ce sous-bois obscur aurait pu se cacher l’un de ces bandits dont elle avait rencontré les victimes la soirée précédente. Les récits désolés de voyageurs attaqués étaient plus fréquents depuis peu. Les routes de l’Empire étaient de moins en moins sures, et si la Dame de Hvit Krok avait toujours aimé se déplacer en petit équipage, elle devait avouer que ce n’était pas là la meilleure assurance d’un déplacement serein.  Elle évalua sa petite escorte du regard – deux hommes, ni plus ni moins, qui l’accompagnaient toujours dans ses excursions. Le plus âgé des deux croisa son regard et elle comprit qu’il partageait son inquiétude. Ma’am, serait plus raisonnable de s’arrêter là. Salomé allait rencontrer un commerçant avec lequel sa famille échangeait depuis longtemps. Elle évaluait le chemin restant à deux heures, probablement guère plus, mais elle avait toujours fait ce voyage en partant de sa ville natale, dans les Montagnes Lunaires, et elle avait visiblement sous-estimé la distance depuis la capitale.

Ils étaient arrivés aux croisements des routes vers Dyrka et Kaern, et ils auraient dû poursuivre vers le Nord pour contourner les Montagnes Lunaires. Son peuple avait peu l’habitude de contourner les massifs, ils préféraient emprunter les passes et les cols des Montagnes. Elle était certaine de ne s’être encore jamais arrêté là. La bâtisse dont ils s’approchaient ne payait pas de mine, mais elle devait reconnaître que passer la nuit ici serait plus sage que de continuer dans l’obscurité qui s’épaississait. Soit. Voyons si ils ont de la place pour nous.

Elle mit pied à terre, attachant sa monture proche de l’abreuvoir et vida ses sacoches. Elle avait peu d’effets, juste de quoi voyager quelques jours. Ses sourcils se haussèrent alors qu’elle déchiffrait l’enseigne. Le Rat Crevé. Hé bien, cela devrait être à votre goût, Elrik. Le vieux bougre ne se lassait jamais de raconter comme le siège de Hvit Krok l’avait poussé à manger toutes sortes de rongeur une quarantaine d’année plus tôt. Elle resserra sa cape sur sa tenue de voyage, cachant ses pantalons d’homme dans les grands pans écarlates - elle ne s’encombrait pas de futilité lorsqu’elle montait à cheval, et ouvrit la porte avec assurance. La salle était raisonnablement animée. Elle évalua la clientèle – des voyageurs surpris comme eux par la nuit qui prenaient un souper, des ivrognes habitués qui hélaient le personnel avec l’assurance de ceux qui ont oublié de quand date leur première visite. Si elle avait connu mieux, mais cela ferait très bien son affaire. Ses deux compagnons se frayèrent un chemin vers un bout de table inoccupée et s’y laissèrent tomber lourdement. Salomé sentait les regards la suivre, sans doute la cape écarlate, la chevelure lâche et la fourrure immaculée qui bordait son col n’y étaient pas étrangers. Elle ne manquait jamais de laisser une impression notable, fière de son aura de lionne. La Dame de Hvit Krok ne tenait pas tant à passer inaperçue.