Il savait depuis longtemps déjà que ce moment finirait par arriver.

Sa mère, la Reine, voulait à tout prix conclure des alliances solides pour assurer la richesse et la pérennité au royaume au vu de la guerre imminente. Lovell assistait souvent aux conseils, ainsi, il comprenait les enjeux de ces ententes et de la situation… pourtant, il avait été assez naïf pour croire qu’elle attendrait au moins qu’il soit couronné pour lui demander de prendre épouse, et surtout : qu’elle lui aurait laissé le choix quant à sa prétendante.

Hélas, la seule question qu’on lui avait posée concernait sa capacité reproductive. En effet, on avait fait venir un médecin au palais pour l’examiner et s’assurer que tout allait bien. Car au-delà de se retrouver la bague au doigt, ce qu’on attendait de cette union était un héritier, preuve de la consommation du mariage et assurance de voire la lignée perpétuée en ces temps conflictuels. Dans d’autres circonstances, de telles précautions n’auraient même pas été envisagées, mais le jeune âge du prince nécessitait quelques considérations supplémentaires. Il s’était senti particulièrement humilié par cette intervention, et avait pris soin d’omettre la mention de la femme de douze ans son ainé, partageant de temps à autre ses draps.

La famille Savelli arriva en début d'après-midi. On s’empressa d’habiller et de coiffer le jeune Prince afin qu’il soit présentable et sa mère lui fit un long discours sur la nécessité de cette alliance, de son devoir envers le royaume et sa famille. Qu’ainsi, ils auront les moyens de venger son père. Lovell n’était pas convaincu que ce dernier argument justifiât réellement le fait de lui imposer des fiançailles avant son ascension sur le trône, mais il n’exprima pas à voix haute le fond de sa pensée.

La jeune femme l’attendait dans le petit salon (qui était pourtant relativement grand), et le jeune homme fut escorté jusqu’à elle par deux gardes, certainement de peur qu’il ne prenne pas la fuite. Son col était trop serré et ses cheveux plaqués d’une façon ridicule sous sa couronne trop lourde. Il n’avait pas envie d’être là, devoir ou non.

Un valet ouvrit la porte pour le laisser entrer, et la première image qu’il eut de sa fiancée était celle d’une femme aux courbes fines, penchée sur le balcon à observer les jardins. Lovell hésita à se racler la gorge pour lui faire part de sa présence, mais il se contenta de dire : « Mademoiselle Savelli. » Cette dernière sursauta en entendant sa voix, et Lovell eut pendant une seconde le soulagement d’avoir fini de muer l’année précédente. « Bonté divine, vous m’avez fait horriblement peur. » Elle se retourna vers lui en prononçant ces mots, et tandis qu’il l’observait sans retenue de la tête aux pieds, il répondit : « Je suis navré, habituellement je ne provoque pas ce genre de réaction ». Il essayait de détendre l’atmosphère, mais n’était pas certain que sa tentative ait de réel effet. La jeune femme face à lui était plutôt jolie. Ses traits étaient fins et sa voix était douce. Elle avait tout pour plaire, et elle plairait au peuple. Pourtant, il ne réalisait pas encore qu’il était en train de rencontrer celle avec qui il allait être amené à passer le restant de ses jours, et à fonder une famille. « Je suppose que vous devez être sa majesté Lovell Heledir ? » dit-elle en s’avançant vers lui avant de faire une révérence. Il hocha légèrement la tête, à la fois pour confirmer son identité, mais également pour acquiescer son geste. « Juliana Savelli, enchantée de faire votre connaissance. » dit-elle se relevant face à lui.

Lovell ne savait pas vraiment quoi dire. On ne l’avait pas préparé à cet instant, jugeant que de toute façon, bonne conversation ou non, les deux jeunes gens allaient finir par s’épouser. Il passa alors en revue les banalités qui lui traversait l’esprit, en en choisit quelques-unes : « Avez-vous fait bon voyage ? » Il savait pertinemment que le trajet depuis les îles Galadhorn était particulièrement long, mais voulait à tout prix, si ce n’est faire bonne impression, au moins paraître poli. « N’hésitez pas si vous souhaitez que l’on vous porte quelque chose à boire ou à grignoter… » ajouta-t-il en désignant d’une main gantée le valet qui attendait devant la porte. La jeune femme était restée enfermée pendant des jours dans une calèche plus ou moins confortable, elle ne devait avoir qu’une envie : se reposer et se dégourdir les jambes. Jetant un coup d’œil vers le balcon où sa promise était penchée quelques minutes plus tôt, Lovell eut une idée. « Souhaiteriez-vous voir les jardins de plus près ? Vous devez avoir envie d’un peu d’air… », dit-il en essayant de se montrer aussi attentionné que possible. Après tout, elle devait déjà crier intérieurement de se voir bientôt mariée à quelqu’un de si jeune et qui plus est d’une autre contrée, il pouvait au moins faire son maximum pour se montrer sous son meilleur jour.

Un large sourire illumina le visage de sa promise lorsqu’il proposa de visiter les jardins, ce qui le fit sourire à son tour. Elle semblait curieuse de voir les plantes, et Lovell se dit qu’il pourrait alors lui montrer les serres botaniques royales, fiertés de sa grand-maman par le passé.

Passant devant la jeune femme pour la guider, le prince acquiesce doucement de la tête lorsque Juliana prononce les paroles suivantes : « Mes parents et votre mère se trouve certainement à cet instant en train de parler de notre union, à commencer toutes sortes de préparatifs. » dit-elle. Lovell vient alors se placer à sa hauteur, et répond doucement : « Ma mère à certainement sorti une bouteille de champagne ou deux pour l’occasion… et nous les premiers concernés n’y ont même pas droit ! ».

Il essayait de détendre l’atmosphère, de paraitre léger et sure de lui, alors qu’il se sentait complètement inadapté à ce genre de situation. « Toutes ces choses me rappelle mon ainée... » dit la jeune femme. Lovell voyait là que quelque chose la tracassait, mais il ne souhaitait pas mettre mal à l’aise sa promise en lui demandant pourquoi. Cependant, s’ils devaient être amenés à gouverner Heledir ensemble, il ne pouvait pas y avoir de non-dits. Ils entrèrent dans les jardins, et Lovell marqua une pause. Il la laissait admirer les rangées de bosquets parfaitement taillés, la fontaine imposante représentant des créatures aquatiques mi-femmes mi-poissons, et les arbres centenaires entourant les lieux. Le prince avait passé des heures à fuir ses responsabilités en venant se cacher ici-même, mais depuis quelques mois, on le lui laissait plus ce plaisir.  Les guidant à un rythme plus lent vers les serres, il fit le choix d’aborder le sujet visiblement sensible, sans savoir s’il mettait les pieds en terrain dangereux. « Votre aînée est elle aussi devenue une princesse ? » Il précisa avec un peu trop de hâte : « Ne vous forcez pas à parler de quelque chose si vous n’en avez pas envie… je veux juste que vous vous sentiez bien ici. » Et Lovell était sincère, car c’était la seule chose qui pouvait lui offrir, en plus d’un titre et d’un royaume.