Lovell était arrivé à la frontière du royaume seulement quelques heures plus tôt.

La ville de Garalde était une des plus agréables à visiter lors de la tournée royale annuelle des Heledir. Cette dernière servait à rassurer le peuple sur la bienveillance de la famille souveraine en se montrant « proche » et « accessible » alors qu’en réalité, c’est à peine s’ils sortaient de leurs carrosses et de leurs lieus de résidence durant leur séjour. La tournée avait plus pour utilité d’honorer de leur présence les familles nobles vivant hors de la capitale (eux seuls ayant l’opportunité de voir plus de quelques secondes le Prince et sa mère), que d’être proche du peuple.

La famille Rodenbach les avait accueillis en grande pompe, comme à leur habitude. Le festin était majestueux, les musiciens doués et talentueux, les invités tous plus nobles les uns que les autres… Comme les années précédentes. Leur manoir se situait à l’entrée de la ville, et surplombait légèrement cette dernière. Accoudé à un des nombreux balcons, un verre de liqueur pétillante dans la main, le jeune homme observait les couleurs chatoyantes des commerces illuminant la nuit. Il savait que sa mère avait déjà depuis longtemps quitté la foule pour retrouver le propriétaire du domaine et quelques-uns de ses amis afin de discuter de plans et de stratégies à mettre en place pour la guerre à venir. « Le plus de familles seront de notre côté pour cette guerre, le plus de chances nous auront de la remporter facilement », lui disait-elle souvent. Et il comprenait, sincèrement. Mais à toutes ces fêtes, il n’avait jamais l’impression de s’amuser. Quitte à ne pas profiter de l’euphorie générale, il aurait aimé se rendre utile et participer aux réunions.

Se retournant pour jeter un œil à l’agitation mondaine, il constatait avec plaisir que tout le monde était trop occupé à boire, à manger et à danser pour s’intéresser à lui. Avec un peu de chance, il pourrait profiter quelques heures du calme d’une balade dans les rues de la ville…

Submergé par l’idée d’échapper à toutes ces conventions et à son titre le temps d’une soirée, il posa sa coupe sur le rebord en pierre du balcon, et se faufila parmi les danseurs jusqu’au couloir menant vers l’entrée. Une fois-là, il retira sa veste brodée pour se retrouver en chemise et attrapa une cape simple posée là, appartenant certainement à un invité plus modeste. Après un dernier coup d’œil vers les danseurs, il entrouvrit la porte et se faufila dans la nuit.

L’air frais vint caresser ses joues, et un sourire se dessina sur le visage du jeune homme. Passant une main dans ses cheveux pour les décoiffer et frottant ses bottes dans la boue pour les rendre moins lustrées, il s’engouffra dans les rues sinueuses de la ville entourée par les bois.

Peu de badauds parcouraient les rues de la ville ce soir.

Ils s’étaient tous réfugiés dans les tavernes pour boire de la cervoise ou de l’hydromel, dans les auberges pour profiter des filles de petites vertus ou dans d’autres caves plus ou moins bien famées.

Lovell se serait bien mêlé aux festivités pour profiter d’une ambiance moins distinguée que celle qui régnait dans le manoir des Rosenbach, mais l’inconnu à qui il avait emprunté la cape actuellement sur ses épaules n’avait pas laissé de pièces traîner dans ses poches. C’était d’ailleurs un peu inconscient de sortir sans au moins de quoi satisfaire d’éventuels agresseurs, car même si Lovell savait se battre, il n’était pas certain de s’en sortir sans arme face à un adversaire de plus forte corpulence.

Il accéléra alors le pas, jetant des regards à travers toutes les fenêtres illuminées, toutes les portes entrouvertes, pour profiter par procuration de l’ambiance chaleureuse et des rires.

- Hé gamin ! lança une voix forte de l’autre côté de la rue. Lovell craint dans un premier temps d’avoir été reconnu par un par passant, et eut pour seul réflexe celui d’ajuster sa capuche sur sa tête. Mais en entendant la suite de l’interpellation, il fut rassuré : N'aurais-tu pas une bonne adresse où je pourrais me reposer cette nuit ?

Tournant la tête vers la voix, il aperçut un homme dans la fleur de l’âge, un cheval alezan à ses côtés. Il n’avait pas l’air agressif, alors le jeune homme fit un pas vers lui.

- Ma monture est épuisée, tout comme moi. Nous avons beaucoup voyagé pour atteindre Garaldur.

Lovell avait croisé un grand nombre de tavernes sur sa route, il aurait donc pu en indiquer plusieurs à l’homme pour qu’il fasse son choix, mais ce dernier reprit sa phrase avant même que le gosse n’ait eut le temps de penser à une liste.

- Ou peut-être, as-tu des idées de lieux atypiques où je pourrais passer quelques heures ce soir ?

Lovell pensa immédiatement que l’homme voulait qu’il lui indique l’adresse d’un bordel, et fut surpris, car c’était rarement à lui qu’on s’adressait pour ce genre de conseils, déjà à cause de sa condition de Prince et surtout au vu de son âge et de sa « présumée » inexpérience. Il tourna alors la tête vers le haut de la rue et réfléchit quelques secondes avant de dire :

- Je suis passé devant une auberge toute à l’heure, le cochon grillé. Vous y trouverez de quoi soulager votre monture et… vous-même.

Il réajusta la cape sur ses épaules et entreprit de fausser compagnie à l’inconnu. Après tout, il n’allait pas l’accompagner dans une maison close. Non, Lovell se souvenait soudainement avoir entendu parler d’une adresse bien plus intéressante, où pouvait faire un saut avant de rentrer au manoir : un marché clandestin dans le sous-sol d’une auberge, où l’on pouvait trouver toute sorte de trésors. Le jeune homme avait entendu parler de ce lieu après qu’une femme se soit vanté, lors de la soirée chez les Rosenbach, que son époux y ait trouvé une fourrure de loup magnifique pour leur parure de lit. Le Prince ne voulait en aucun cas acheter la toison d’un animal sacré, non… Il était juste curieux de voir de ces propres yeux ces merveilles inaccessibles. Peut-être y trouverait-il un œuf de dragon ? Une carte récente du territoire des Thoron pouvant servir pour la guerre imminente ? Un bijou assez chatoyant pour être offert à sa prétendante et apaiser sa souffrance de devoir épouser un Prince si... loin de ses attentes ?

Il était prêt à tourner le dos à l’homme quand lui vint en tête un point défaillant dans son plan. On ne le laisserait pas facilement rentrer, du haut de ses quatorze ans, qui plus est, sans argent. L’inconnu tombait donc à point nommé.

- Sinon… commença-t-il avec hésitation. Vous pouvez m’accompagner dans une auberge un peu plus loin là-bas, sans filles faciles, mais avec d’autres trésors.

Il désigna de la main l’auberge en contre-bas de la rue, la seule ayant une lanterne verte allumée devant la porte plutôt qu’une rougeoyante. C’était la particularité qu’avait mentionné la précieuse quelques heures plutôt, et du haut du balcon des Rosenbach, Lovell n’avait pas eu de mal à la repérer. Il trouvait d’ailleurs ça étrange d’avoir un signe si distinctif pour un endroit supposé être secret…

Le Prince alors s’avança vers son aîné avec assurance, essayant de le convaincre de l’accompagner plutôt que d’aller retrouver des coureuses de rempart.

- J’suis certain qu’ils auront de quoi reposer votre cheval le temps d’une pinte.

Lovell était ravi que l’homme soit prêt à l’accompagner, et un sourire illumina son visage. La seule chose à faire une fois dans l’auberge, serait de trouver comment accéder à ce fameux marché clandestin.

Maintenant officieusement acolytes pour le reste de la soirée, les deux hommes se mirent alors en marche vers ladite bâtisse, suivis par le bruit des sabot du cheval claquant contre les pavés humides.

- J'ai hâte de voir les trésors dont tu parles. Je m'appelle Ramsay. Et toi ?

Lovell assimila l’information, et après quelques secondes de réflexion, répondit :

- Lloyd, enchanté.

Ils parvinrent rapidement au pied de la devanture illuminée par lampe émeraude, et Ramsay confia son cheval à un palefrenier, avant de s’exclamer :

- J'suis tout à toi !

Le gamin lui adressa un sourire en coin, et tout en retirant sa capuche, il entra dans l’auberge. Le lieu était comme il l’avait imaginé : un peu sale, plutôt sombre, et relativement mal fréquenté. Au-delà de ça, c’était presque une taverne comme les autres. Lovell s’accouda rapidement au comptoir, de telle façon qu’il pourrait facilement lire l’heure sur l’horloge près de la porte, et rentrer avant que sa mère ne s’aperçoive de son absence. Il avait beau être plein d’adrénaline, il était tout de même assez nerveux. N’ayant pas un sou en poche, il attendit que son acolyte ne commande quelque chose pour demander une pinte d’hydromel. La serveuse fronça les sourcils, mais Lovell fit sans le voir légèrement scintiller la chevalière qu’il avait oublié de retirer, et cette dernière se dit qu’il aurait certainement de quoi payer, peu importe son âge. Pour ne pas paraitre désobligeant envers son partenaire de la soirée, le jeune prince trinqua avec ce dernier et lui expliqua la raison de leur venue ici :

- Ramsay, commença-t-il. Les trésors dont je vous ai parlé… Je vais avoir besoin de vous pour les dénicher.

Il prit une gorgée dans le godet frais qu’on venait de lui servir, et après avoir attendu que la serveuse ne soit occupée ailleurs, continua :

- Il y a un marché clandestin dans le sous-sol de l’auberge. Mais je ne pense pas qu’ils y laisseront entrer un gamin. Or, je veux vraiment voir ce qu’il y là-dessous…. Vous pouvez m’aider ?