Si la grande majorité des membres de la famille Gwelnaur étaient connus pour leur amour inexpliqué de la guerre et de la violence ou encore pour cette fascination de la mort, Médée, elle, était célébrée à travers tout Elenath pour sa passion des Arts. Toujours généreuse avec les comédiens, les peintres, les ménestrels etc. de passage dans le Royaume de ses ancêtres, elle jouissait de ce fait d'une excellente réputation qui venait contrebalancer la triste réputation qui collait à la peau de son pauvre frère depuis maintenant plusieurs années. Très appréciée par la Troupe des Gémeaux pour sa générosité et son apparente tolérance, elle adorait user de ses réseaux pour faire venir de grands artistes à Belithrael afin que les nobles et le petit peuple puissent avoir accès à la culture. Et pour fêter l'arrivée du printemps elle prit la décision d'inviter le « Peuple du Soleil », une troupe de comédiens extrêmement talentueux et connue dans tout le royaume notamment pour la qualité de ses costumes. Ils se produisaient généralement dans des villes comme Belyr, Lugan et Kaern mais n'étaient encore jamais venus jouer dans la Capitale Gwelnaur. D'autant plus que la lionne était impatiente de pouvoir inaugurer le petit théâtre à ciel ouvert qu'elle avait fait construire là-bas et qui offrait un cadre exceptionnel, grâce à l'imposant et ancien volcan que les spectateurs pouvaient apercevoir au loin.

Médée arriva donc avec son fils Abel, plus d’une demi-heure avant le début de la représentation. Elle aimait s’installer à l’avance afin de s'imprégner de l’esprit du lieu. La loge réservée à la famille royale et aux membres du Conseil était grande, spacieuse et fastueuse. Il fallait bien ça pour que les nobles Gwelnaur acceptent de se familiariser avec la culture et plus particulièrement le théâtre. Malheureusement Amras c’était excusé d’avance de ne pas pouvoir venir, des affaires importantes le retenant au palais… Cela avait attristé son aînée, mais cette dernière ne s’en était pas formalisée, pour la simple et bonne raison qu’elle savait très bien que les affaires d’état étaient beaucoup plus importantes que les événements culturels qu'elle aimait organiser pour distraire la noblesse locale. De plus elle aimait beaucoup trop son petit frère pour se brouiller avec lui à cause de sujets aussi futiles.

En voyant arriver plus d’une demi-douzaine de soldats en armures entrer dans la loge royale, la trentenaire devina qu’un autre membre de la famille royale était en train d’arriver. Malgré son kidnapping, elle n’aimait pas beaucoup se balader accompagnée de gardes et se contenter simplement d’être entourée de quelques hommes de confiances. Lorsqu’elle aperçut une crinière blonde dans l'entrebâillement de la porte, Médée ne pu s’empêcher d’esquisser un sourire niais. Elle n’était jamais restée insensible aux nombreux charmes de sa belle-soeur, sa dernière étant aussi brillante, qu’elle était magnifique. « Mais ne serait-ce pas notre bonne Reine ? Leann Gwelnaur en personne !?  » La trésorière quitta alors son siège, laissant Abel seul et pensif, pour aller donner l’accolade à la nouvelle venue. La présence de la souveraine du royaume était un plus non négligeable, elle donnait un côté beaucoup plus officiel à cette représentation.  « Quelle joie et quel honneur de vous voir ici, ma soeur.  » Dit-elle avant de retourner tranquillement à sa place, attendant que la dame de coeur vienne s'asseoir à son tour.

Profondément marquée par la mort en couche de sa pauvre mère, Médée était finalement parvenue à surmonter sa peine en offrant toute son affection à son jeune frère Amras. Tentant de le protéger autant que possible des horreurs de ce monde ou encore des crises de colère terrifiantes de leur père.  Malheureusement les sept années de captivité qui tinrent éloignée la princesse de son Royaume natal eurent des conséquences tragiques. Quasiment seul face aux guerres, aux révoltes, à l’ivresse du pouvoir, son cadet avait laissé ses angoisses les plus sombres prendre le dessus et emporter une partie de sa raison. Cela n’empêchait pas sa soeur de l’aimer du fond du coeur, il était de son sang et après son jeune fils Abel il était certainement ce qu’elle avait de plus cher. Ainsi elle remerciait souvent Kendassa que le destin lui ai permis d’avoir une épouse douce et dévouée comme Leann. Toute auréolée de sa fidélité sans faille, la Reine était essentielle à la bonne vie de Gwelnaur. Combiens de vies avait-elle sauvé sans le savoir ?

Médée s’était toujours sentie attirée par sa belle-soeur tout en étant parfaitement incapable de comprendre pourquoi. Etait-ce sa blondeur, sa beauté quasiment surnaturelle, cet air de madone au coeur pure qui semblait faire contrepoids à la violence de notre monde ? Mystère. Quoi qu’il en soit la mécène ne pu que se réjouir de l’arrivée de sa souveraine. Elle aimait partager son amour des arts avec elle. Leann était autrement plus sensible aux multiples charmes du théâtre et de la poésie que son malheureux époux. L’aînée des Gwelnaur fut d’ailleurs particulièrement flattée par tous ces beaux compliments, ses joues ne tardèrent pas à rougir et fière comme à son habitude elle dissimula sa gêne en retournant à sa place aux bras de son amie. Avant que le spectacle ne débute, l’artiste contrariée se pencha en direction de la reine et lui murmura à l’oreille : « Je fais de mon mieux ma soeur, je voudrais que mon enfant, que nos enfants, héritent de théâtres majestueux et non pas de champs de ruines, de cendres encore fumantes. » Amoureuse des Arts et quelque peu utopiste, Médée n’était pas naïve pour autant. Elle n’ignorait rien de la guerre ombreuse qui commençait déjà à diviser Elenath, mais elle pensait modestement que le théâtre, la poésie, la peinture, pourraient peut-être retarder ce funeste compte-à-rebour en occupant l’esprit des puissants et notamment celui de son petit frère. Abel n’était encore qu’un jeune adolescent, son éducation militaire commençait à peine et il n’était clairement pas prêt à connaître l’horreur d’un conflit.

« Je m’inquiète pour mon frère. Il semble de plus en plus… torturé... » Chuchota la belle rousse afin que son fils ne l’entende pas trop. Si Médée savait que son cadet avait toutes les qualités pour être un grand souverain, le temps lui avait aussi fait découvrir ses défauts, la moindre de ses faiblesses… faiblesses que Leann connaissait tout aussi bien. La trentenaire posa ensuite sa main sur celle de sa voisine avant de l’observer en silence avec attention… L’épouse d'arras était belle, magnifique même, mais pas immaculée. On pouvait voir sur son visage les stigmates du mariage, du pouvoir… de la vie à deux ? « Et vous ma soeur, mon amie, comment allez-vous ? » Malgré son rôle de mère, malgré son poste de grand argentier et sa volonté de toujours protéger ses proches, la Lionne de Gwelnaur avait toujours moins de responsabilité que son petit frère et bien évidemment de sa belle-soeur. Alors si elle pouvait un petit peu la soulager… l’aider… la soutenir…

Hommes et femmes de Gwelnaur étaient connus à travers tout Elenath pour leur tempérament sanguin, parfois même pour leur cruauté. Si elle hérité du caractère de lionne de sa pauvre mère prête à brûler le monde entier pour protéger sa famille et son fils adoré, Médée n’en demeurait pas moin très différente de son défunt père et de son petit frère. La violence na la fascinait pas. Ses colères, ses peines, ses craintes, elle combattait tout cela grâce aux Arts qui l’aidaient à prendre de la hauteur sur les choses, et parfois à s’évader en imaginant un monde totalement différent. La trentenaire savait cependant garder les pieds sur terre, rester en connexion avec le réel. C’est pour cela, qu’elle profita des quelques minutes qui précédaient la pièce de théâtre de la Compagnie du « Peuple du Soleil » pour poser quelques questions à sa belle-soeur et prendre des nouvelles d'Amras qui ne lui semblait pas au meilleur de sa forme depuis maintenant plusieurs mois. Gênée par le monde qui l’entourait, la Reine préféra couper court à cette discussion en déviant le sujet sur la représentation qui allait avoir lieu.

Avant de répondre à la question de son invitée, l’aînée des Gwelnaur posa tendrement ses mains sur celles de son amie, tout en plongeant ses grands yeux clairs dans les siens. Faisant tout son possible pour ne pas être troublée, par la beauté surnaturelle de la Reine Blanche, elle esquissa un sourire plein de compassion… presque maternel…. Seuls les dieux savaient à quel point son affection pour Leann était grande. « Mais vous êtes une lumière ma soeur. N’en doutez jamais. Chaque jour je remercie les Dieux de m’avoir donné à mon frère une épouse telle que vous. Derrière les grands Rois il y a toujours une grande Reine… vous en êtes une… » Dit-elle d’une voix à la fois rauque et douce avant de se redresser et de faire glisser une main dans la crinière d’ébène d’Abel qui n’apprécia pas beaucoup cet acte terriblement infantilisant et qui le fit comprendre en soufflant assez bruyamment… Déjà qu’il était là, obligé de subir les messes-basses de sa mère et de sa tante, il ne souhaitait pas qu’on le fasse passer pour un gamin alors qu’il venait d’avoir treize ans. Véritable poule, Médée ne pu s’empêcher de pouffer de rire devant la réaction quelque peu excessive de son fils devant cet élan de douceur.

« La pièce à laquelle nous allons assister est parait-il excellente, elle narre la dispute de Elrawyn avec ses frères et son exil volontaire à l’autre bout du monde. Vous savez à quel point j’apprécie le Dieu Solaire… »

Malgré son sang royal, il était bien connu à Gwelnaur, que Médée préférait largement Elrawyn et Smirre au redoutable Legnar pourtant protecteur du Royaume. Après être revenue de sa captivité à Thoron, la jeune femme avait décidé de passer quelques mois dans un magnifique labyrinthe perché tout en haut d’une montagne faisant face au célèbre volcan. Quelques secondes plus tard, les trois coups de bâton du brigadier résonnèrent dans ce théâtre tout neuf et la pièce de théâtre débuta. Des costumes et des acteurs plus magnifiques, les uns que les autres, racontèrent comment lassé des querelles incessantes de ses cadets, le Dieu du Soleil et de la Chaleur prit la décision de s’exiler à l’autre bout du monde, dans un royaume inconnu des mortels. La Lionne avait beau connaître cette histoire par coeur elle la revivait toujours avec un certain plaisir, à tel point, qu’elle ne remarqua même pas son fils s’agiter, s’impatienter et qu’elle ne vit vit même pas le temps passé, allant même jusqu’à lever un sourcil lorsque le brigadier annonça l'entracte...