l'empire familier des ténèbres futures.
Libre, toi ?.
Elle lève les yeux vers le ciel lumineux. Le soleil, flamboyant, fait plisser ses jolis yeux. Elle n'en reste pas moins belle. Ce rictus au coin des lèvres, les cheveux libres flottant au gré du vent, elle inspire la hauteur de son rang.
Détonne dans ce décor de manants.Les sans-nom. Tribu inconnue rejetée et néfaste pour la haute société. Elle n'est pas là par plaisir, Satine, non. Elle regrette de fouler de ses pieds ce sol ordurier. Mais nulle abjection ne pourra la stopper dans sa quête d'elle-même. Pas d'entracte entre elle et son passé. L'avenir lui tend les bras.
La soif lui broie la gorge. Elle est partie seule, discrètement. Nul ici ne connaît son statut, son visage, son prénom.
La mystérieuse aux pas félon. Barahir l'a questionnée.
- Où seras-tu pendant ce temps ? pourquoi n'aurais-je pas la primeur de tes draps ? - Elle a bégayé deux trois mensonges, devenue reine en ce domaine. La soif lui broie la gorge.
Une taverne, sur sa gauche. Enfin. Un soupir, et elle franchit le seuil de l'endroit. De la bière coule à flot, une forte odeur de fleur de houblon se dégage des lieux. De l'hydromel, à la jolie robe ambrée tapisse les murs fraîchement délaissés. Quelques hommes adossés aux tables parlent fort. Combats de coqs,
d'égo en mal d'écho.
Mais elle, la perle de satin, ce ne sont pas leurs grosses voix rêches qu'elle entend envahir le bouge. Non. La douceur de la soie, la force du métal, la brillance du cristal. C'est ce que contient cette voix. Voix douce, voix suave, voix de l'autre bout de la salle.
La voix.
Satine a des frissons qui lui parcourent l'échine. Ce chant mélodieux la replonge en enfance. Elle revoit les murmures berceuses de sa mère penchée à son chevet, en train de la border. Elle ressent les vagues déposant leurs muscs salés sur sa peau diaphane pendant les jeux fraternels. Et le chant se poursuit. La taverne n'est plus, Satine est ailleurs, loin.
Dans l'empire familier des gaietés passées. Elle rouvre les yeux. Il lui a semblé demeurer là, debout, idiote et yeux clos, pendant une bonne décennie. Les derniers notes traînent et tintent contre les verres. Puis le silence. La danse des souvenirs s'achève.
De longs cheveux bruns. Majesté dans la courbure, elle a pourtant tout d'une fille du peuple. Ingénue. Perdue. Le regard poétique apeuré et souffrance.
Elle a les yeux qui la fixent. Satine ne peut pas s'extraire de sa présence hypnotique, des réminiscences de cette voix
enchantante. Comme mue par plus fort qu'elle, ses pas en oublient sa soif première et l'entraînent vers ce qui fait guise de scène. La troupe a fière allure. Mais Satine ne voit rien d'autre que la femme mélodie.
-
C'était un très beau chant. Murmures. -
Vous m'avez ramenée en enfance, vous avez la voix des souvenirs.Quel ménestrel cracherait sur un compliment ? Surtout venant d'une femme bien trop habillée pour fréquenter un tel clapier.
Et le sourire au coin des lèvres.
Et la brillance des larmes contenues au coin des yeux.
L'émotion cantique.