@geory le pourfendeur.


Le Roi couve d’un regard satisfait les oiseaux de bas plumage composant sa cour, les vestiges des sourires occasionnés par sa dernière toujours présents sur leurs gueules patibulaires. Amras s’est entouré d’hommes qui lui ressemblent : des sauvages, des soudards, des impudents, des impénitents. Des bêtes aux mœurs douteuses, des âmes sombres, et pourtant le molosse n’hume sur aucun d’eux l’odeur pestilentielle d’un félon car tous sont aussi entiers que lui. L’on dit souvent que du roi découle sa cour et Belithrael ne fait guère exception à la sagesse populaire, ce qui explique probablement pourquoi l’ambiance, pour l’heure, est à la décontraction, aux traits douteux et à l’enivrement. Tous savent qu’ils tissent le chaos et tous ont l’assurance tranquille de voir leur toile purpurine dès bientôt achevée. Le Fléau d’Elenath est bien plus à l’aise en compagnie de ces drôles que cerné par ses grands vassaux, tous flagorneurs et farauds, sans consistance ni ardeur. Il porte sa corne de bière et en engloutit une solide lampée, se demandant distraitement combien de ces compagnons seront là, une fois ses desseins exaucés ; lui sera toujours vigoureux, bien entendu, car il est, après tout, le bras armé de Legnar, son élu, son émissaire qui plante çà et là les graines de l’affliction, attendant le moment propice pour faire sa moisson terrible.


La pluie diluvienne tombe sans discontinuer sur la capitale, tandis qu’une brume épaisse en cajole les remparts, raison pour laquelle l’activité qui divertit la cour se déroule au sein même de la salle du trône, faute de mieux. « Reste plus mobile, mon garçon. » siffle-t-il à son neveu, qui échange des passes d’armes en bois avec un nobliau de son âge. Amras en fera un guerrier, il se l’est juré, car il est le seul bourgeon mâle de la dynastie, sa fille de surcroît ne goûtant que peu les attraits du combat. L’éphèbe est jeune, dégingandé, sensible et guère autant irascible que le roi l’aimerait, mais tout de même prometteur. Il aime sa sœur comme il aurait pu aimer une mère, d’un amour simple et sans condition. Et pourtant, dans l’intimité de son âme hideuse, le monarque n’a jamais pu lui pardonner d’avoir été bénie d’un fils, tandis que lui a écopé d’une ingrate. « Plus haut ta garde. » annonce le Gwelnaur tandis que l’adversaire du jeune garçon abat son glaive factice sur le chef du royal neveu. Des rires secouent l’assemblée mais l’oisillon ne se laisse pas démonter. Soudain, l’attention des deux guerriers, ainsi que de la cour, est happée par une commotion qui semble se dérouler dans le couloir longeant les murs de la salle du trône ; des bruits de rixe, des jurons, des cris de bête, de la ferraille qui s’écrase lourdement sur le sol. L’un des conseillers royaux fond sur le neveu du roi et amène celui-ci à côté du trône, tandis que bon nombre de gardes s’engouffrent dans le couloir pour confondre le fauteur de troubles.


« Qui ose bafouer la paix du Roi ? » s’insurge celui qui mène une guerre sempiternelle, l’ironie perdue sur lui. Son regard s’assombrit, prophétisant un lourd tribut à payer pour l’impudent qui a osé saboter une après-midi qui s’annonçait agréable. L’escarmouche semble s’éterniser et il ne faut pas longtemps pour que le Boucher de Belithrael commence à maudire l’incompétence de ses gardes. Le gamin, apeuré, lui lance de temps à autres des œillades exorbitées, ne souhaitant sans doute pas mieux que d’emprunter la petite porte pour retrouver sa mère et ses appartements. Il ne le peut, pourtant, car il doit contempler la justice du roi maudit, qui est aussi fulgurante que sanglante.
 

 
@amras gwelnaur.

Tu en es sûr, au fond de toi. Cette certitude qui se fixe en ton esprit, côtoie la folie qui toujours y flamboie. L'assassin est ici, issu des marécages sombres gwelnauriens, né dans le sang carmin des ruelles sombres de belithrael. Tu le sais, tu le sens. La reine Irèn a beau t'avoir dit le contraire, tu en demeures persuadé. Comme si, revenue d'entre les morts, ressuscitée des confins de Kandassa, c'est ta belle Lucia qui glissait en ton oreille la véritable identité, lui, le vrai meurtrier. Tu sens jusqu'à son souffle qui caresse ta nuque, jusqu'à sa voix lascive qui t'a toujours séduit, même dans les plus obscurs recoins de ta folie. Elle est là. Elle te guide. Bonne étoile fantomatique, à peine mystique, qui t'assure - certitude - que l'assassin est entre ces murs des contrées de Gwelnaur, là où le soleil se lève rouge, et où pullulent les arrêts de mort. Et les égouts de Belithrael, dans lesquels naissent les pires goules, les pires monstres, de ceux qui t'ont pris, qui t'ont volé ta douce dulcinée. Et ta vengeance est née.
Ta décision est assurée. Les habitants de ce pays infâme sont si souvent dérangés que tu ne peux perdre ton temps à chacun les interroger, tour à tour, quémandant avec l'aide ferraillée d'Ailassa des indices, des réponses aux questions qui se bousculent en ton esprit. Tu ne peux décemment perdre ce précieux temps. Il te faut frapper fort, au cœur même de cette contrée. Et qui serait mieux placé que le souverain lui-même pour t'apporter des réponses concrètes à la mort de ta bien-aimée - et de ce bébé qui fleurissait en son sein. Le roi. Rien que cela. La folie depuis bien longtemps a restreint ta raison, et plus aucun projet ne te semble illogique. Tout ce qui, de près, de loin, d'une manière ou d'une autre - force ou douceur- peut te mener à des indices te semblera de toute manière parfaitement raisonnable, peu importe les inconstances de tes désirs.
Tes pas te mènent naturellement au château. N'importe qui aurait été refroidi par les gardes barrant l'entrée, par les multiples vassaux aux pieds du roi Gwelnaur, vouant allégeance à sa folie meurtrière, à son allure carnassière. N'importe qui. Mais pas toi, Geory. Une nouvelle force t'es donnée par la couleur de ta folie, par l'aide mystérieuse de ta bien-aimée. Et Lucia qui fait œuvrer Ailassa, celle-là même qui pourfend les airs, mettant à terre les deux pauvres gardes qui demeurent postés devant l'entrée, vastes poupées de cire, inutilisées, inutilisables. A peine des guerriers. Les meilleurs sont à l'intérieur, et tu n'es pas assez naïf pour te croire protégé.
Tu n'as plus guère de temps avant que tous les renforts ne se jettent sur toi. Profitant du silence et de l'étonnement généré par ton assaut suicide, tu parviens à te faufiler, doucement, silencieusement, laissant à tes arrières les hommes que tu croises au compte-goutte, à moitié assommés. Mais les choses se compliquent. Plus tu approches de ce que tu imagines être la salle du trône (celle, en tout cas, la mieux gardée au sein de ce clapier), plus les gardes sont nombreux. Et, désormais, l'effet de surprise ne suffit plus.

Le bruit des fers qui s'entrechoquent.
La sueur qui perle sur ton front.
Hennissement d'animal enragé.

▬ Amras ! Un cri, là, dans le cocon de la cour que tu as péniblement atteint. Tu le vois, il est là. Au prise avec un enfant dont tu ignores l'existence. Il est là, enfin. Tu as atteins le but. Peu importe la justice, si -de toute manière- c'est derrière la tienne que tu cours. La vengeance que tu pourchasses, comme un gibier assoiffé. ▬ Je venais simplement vous saluer, nullement bafouer cette paix que vous aimez tant. Pourrais-je avoir l'honneur d'un entretien ? L'épée aux prises avec l'un de ses bouchers, tu oses l'affront de le quitter des yeux. Autant entrer dans la gueule du loup avec panache, puisque de toute façon, tu n'en ressortiras probablement pas. Kamikaze des temps modernes.