A l'orée du bois le loup se terre prêt à bondir sur sa proie que jamais il ne relâche.
Les tigres prolifèrent en ces contrées amères. Ils sont légions. Ils rapportent une grosse somme d'argent, tant les villageois craignent pour leurs bœufs, tant ils sont prêts à se délester de bourses pleines pour le simple bonheur de ne point craindre la bête féroce, cachés les premiers rayons du soleil.
Mais tu n'es pas là pour ça, aujourd'hui, Geory. Tu n'as nul besoin de faire grossir l'étendue de ta bourse. Le ruisseau qui coule à tes pieds t'offre bien plus agréable récréation, et détend tes muscles noués par les combats longuement menés. Car ton chemin, lui, est strié d'ennemis désossés, dont tu fais gicler le sang carmin à l'orée des bois dans lesquels tu laisses flétrir leur cadavre.
Mais nul ne te donne d'indices suffisants. Nul ne mène tes pas vers la victoire, résurrection salutaire, vers la mort de l'ennemi, de l'assassin, du mortifère, celui qui respire encore après avoir osé voler le dernier souffle de ta Lucia. Après l'avoir menée dans les bras de la reine mère, la déesse Kendassa.
Nul de ces pillards, de ces bandits de grand chemin sans intérêt n'a eu vent de ce dont tu parles, et leurs dernières paroles se tournent davantage vers leur mère qu'ils pleurent en supplications que vers ton épouse flétrie sans compassion, si ce n'est la tienne, la seule. Et cette culpabilité qui bouillonne dans tes veines, remonte à ton cœur, à ton âme, s'épanouit et pourfend ton être tout entier, cette culpabilité qui résonne comme un couperet, tu sens la lame et son froid mortifère sur ton cou délétère, et qui te glisse au creux de lèvres "tu n'as pas su la protéger". Sa mort, magistrale, éternelle, qui se rit de toi et de ton épée qui n'a rien su faire.
Un soupir, alors que tu lances un caillou dans l'eau dans laquelle depuis quelques minutes tu laisses reposer tes pieds endoloris par tes marches forcées. Celui-ci résonne dans l'atmosphère, s'épanouit, s'étend dans l'air. Tu te perds un instant dans la contemplation des remous qu'il a provoqué dans la rivière, tu t'y plonges comme dans la douleur de tes souvenirs. Et un bruit. Gauche. Léger, svelte. Les pas d'une femme, sans le moindre doute, les pas plus lourds et maladroits de sa monture, sa langue râpeuse qui touche la même eau que la tienne, à quelques mètres de ton corps endolori, et se désaltère de la longue marche qu'il a sans doute du mener dans ce désert ensoleillé.
La curiosité te pousse à te diriger vers cette présence qui trouble le cour normal de tes pensées. Elle est femme, en effet, aux longs cheveux noirs qui serpentent autour de son visage, forment une cascade aqueuse le long de ses joues rebondies, et ce regard qui te semble vaguement connu. L'étrangeté de l'impression que tu éprouves à cet instant, comme perdu dans le lit de tes souvenirs, sans pouvoir remettre le doigt sur le moment précis de votre entrevue. ▬
Il est dangereux de se perdre si loin dans le désert. Ta voix qui tonne dans l'air, plus grave que tu ne l'aurais voulu. Une âme perdue te prendrait à raison pour un ennemi, verrait une menace dans l'ardeur de ta parole. Il n'en est pourtant rien. Salutations bourrines d'un homme inapte aux relations sociales les plus élémentaires.
Et cette impression, au creux de ton palpitant, d'avoir déjà vu cette ardeur dans les prunelles. Impression vague, balayée par un coup de vent.