Le sable chaud refletait les dernières lueurs du jour alors que la température baissait enfin dans le désert. Arrachant une grimace au capitaine qui venait de faire poser le camps à sa groupe vraisemblablement fatigué. La chasse avait été fructueuse mais pas suffisamment pour l'escouade. En effet, les tigres de la région avait proliféré, causant de nombreux troubles aux caravanes commerciales qui avait posé une trime mirobolante pour s'en débarassé. Au-delà de l'argent, le régiment du lion avait pour prérogatives d'aider les populations, cette chasse en était le parfait exemple. Pourtant, la région n'était pas très accueillante et nombre de ses hommes n'appréciaient vraiment pas le sable. Le repos au campement ferait du bien à tout le monde.  Le feu brûlait déjà dans l'âtre de fortune alors quel les premières tentes se dressaient vaillamment pour accueillir le repos des guerriers. Merril donnait les directives alors qu'Alistair guettait les alentours. Préoccupé. Seraphin lui avait la remarque qu'ils étaient suivis, ou du moins, qu'ils n'étaient pas seuls à sillonner les dunes de sables à la recherche des animaux sauvages aux prix d'or. Rien d'étonnant à cela après tout, vu l'argent qu'il est possible de se faire. Mais le rôdeur ne semblait pas tranquille, car l'opportun ne se trouvait pas loin.

Le Capitaine prit alors la responsabilité de faire un tour autour du camps, à l'écart pour voir si la personne qui suivait la même quête se trouvait aux alentours. Il ne faudrait pas qu'ils se fassent attaquer durant la nuit, la concurrence n'étant pas forcément bien vue par divers mercenaires. Laissant ses gens de côté, en les prévenant, le chevalier s'arma avant de marcher d'un pas déterminé dans les dunes. Merril n'était pas sereine, mais le groupe ne serait pas loin en cas de besoin. Heureusement que le soleil déclinait à vue d'oeil et ne tarderait pas à disparaitre promptement, le temps était nettement plus agréables. Alistair se trouvait alors à l'écart, les sens en alerte, prêt à faire face à n'importe quoi qui pourrait l'aborder. Ou pire, tenter de l'attaquer. Une main sur la poignée de son arme, il scrutait avec attention les environs, faisant attention au moindre bruit suspect. Jusqu'à ce qu'un glissement de sable n'attire son attention et le fasse se retourner subitement, laissant la place à une vision qu'il ne pensait pas voir de si tôt. Ses yeux s'écarquillèrent de stupeur et de surprise en reconnaissant une démarche qu'il connaissait par coeur. Un visage marqué par la violence, les combats et la résignation, il ne put que lâcher de surprise : « Geory ?! C'est toi ?! Qu'est-ce que tu fiches ici ? »

Le tigre qui se débat, moitié mourant, ensanglanté. Et toi, qui brandis Ailassa, dernier souffle, dernier instant de vie. Des jours que tu traques la bête, tu avais attendu le moment opportun et lancé adroitement ta dague à l'endroit même de son cœur. Cela n'avait pas suffit. Il en avait fallu une autre, puis une encore. Pas d'arc à ton carquois, juste le temps pour toi. Le sang avait giclé, le râle avait peu à peu diminué, pour se finir en une mousse rosâtre dans la gueule. Un instant, tu te recueilles. L'honneur minimal devant une bête qui s'est bien défendue.
Et Théobald qui ne tardera pas, pour t'aider à ramener le butin. Tu souffles un instant. Tout cela te rappelle des souvenirs, Ailassa qui brille au soleil étouffant du royaume d'heledir. Le régiment du lion, ta soif de justice, ta haine des préjudices. Pourfendeur des importuns.
Tout cela est bien loin derrière toi, désormais. A mille lieux des priorités qui aujourd'hui sont les tiennes. A mille lieux de cette folie qui, plus si loin, te guette. Et le retour de campagne. Et ta femme dans tes bras, le dernier soupir. La mort qui t'entoure, qui respire, quant elle cesse d'aspirer l'air.
Voilà ce que t'évoque le régiment du lion désormais.
Les coupables de ton absence,
les responsables de sa sentence.

La nuit qui commence à tomber, la lune au loin qui prend sa digne place dans le ciel. La température se radoucit, mais cela t'importe peu : la chaleur est devenue ta plus fidèle alliée. Tu attends toujours, quand des bruits étonnants accrochent tes tympans. Tu n'es plus, avec les animaux, le seul signe de vie.
Un autre, désormais, réside en ce désert. Alerte, tu décides de te rapprocher des lumières qui peu à peu s'allument au loin. Tes pas sont légèrement entravés par le sable, mais tu avances rapidement. Ailassa dans les mains, tout juste prêt à dégainer, défendre chèrement ta vie, emporter l’autre avec toi dans le sillon de Kendassa. Rejoindre Lucia.
Il se rapproche. L'inconnu, le mystérieux, le ténébreux dont l'ombre se découpe dans le soir tombant au loin.
L'inconnu ne l'est pas. Mystérieux encore moins. Il te suffit d'un regard pour que soudain tout te revienne. Les ordres claqués, le capitaine. Tes insubordinations quotidiennes. L'affection et le respect que néanmoins tu portais comme étendard. Ton amitié pour lui, la flamme de la justice brillant dans vos yeux, mutuelle. Et ton visage confiant à chaque ordre, à chaque campagne, à chaque décision du commandant.
Tu ranges Ailassa. Elle ne te sera pas utile, ce soir. Seule ta langue acérée comme arme, et ton absence en bouclier.
▬ Je gagne ma vie. Tu lui montres d'un geste de la tête le cadavre du tigre qui se découpe à l'horizon. Pas de salutations, tu caches l'étonnement qui t'habite, la stupeur qui te ramène des années en arrière, tu feins l'indifférence, l'ignorance. Protection minimale. Arme maximale.
▬ Et toi ? Toujours accompagné de ta troupe de petits chiens ? N'as-tu toujours pas appris de tes erreurs ? Regard dur, voix froide. Ténébreuse. Et cette confiance absolue de la vision de l'avenir, du vrai sens de la vie, comme si tu l'avais trouvé, désormais. Alors que lui, lui et ces idéaux, ces illusions factices, hypnotiques, sa double conception de la vie - le bien, le mal, même combat. Si Alistair veut lutter contre le mal et l'injustice, c'est qu'il n'a pas encore compris la vraie fatalité. Celle qui fait toujours gagner les plus puissants.
Celle qui fait mourir les bonheurs, pourrir les félicités.

La rencontre impromptue ne finit pas de surprendre le chevalier. S'il y a bien une personne à laquelle il ne pensait pas revoir de si tout c'était bien le mercenaire. Son ami. Ou bien ce qu'il en restait. La gorge d'Alistair se serre sans vraiment y penser. Un fantôme qui se tient devant lui, toujours aussi imperturbable, marqué par la perte. Un visage impassible qui cache ses bien les émotions, si difficile à lire. Pourtant, le blond sait. Il connait la perte et la douleur. Peut-être pas aussi déchirante et destructrice que celle de son ami, ce fut probablement pour cela qu'il ne parvint pas à retenir.

La réponse cingla, aussi violente qu'un coup de fouet. Le mercenaire ne semblait pas aussi surpris que lui, Alistair se demanda alors s'il était au courant de sa présence en ce lieu.  « Comme tout le monde dans ce désert visiblement. ». En même temps, qu'est-ce qui pouvait amener des gens aussi armés qu'eux dans un lieu pareil ? Devait-il vraiment être étonné ? Pourtant le destin semblait bien vouloir se jouer d'eux, ironique comme il était. De partenaires, ils se retrouvaient adversaires. Traquant la même proie. La même mission. Mais finalement, n'avaient-ils pas été que cela toutes ces années ?

Et même si Geory ne sortait pas son épée de son fourreau, le chevalier n'en restait pas moins méfiant, se souvenant parfaitement de leurs dernières ... Altercations. Pourtant, le naïf capitaine continuait à espérer à une rédemption. Difficile à croire, vu la suite de la tirade qui claqua, tout aussi violente que la précédente. Alistair n'en laissa rien paraitre à son tour, considérant qu'il ne s'agissait que de parole d'un homme encore blessé. « Ce n'est pas moi qui commet une erreur ici. ». Le regard clair et droit. « Mais il n'y a pas pire aveugle celui qui ne veut pas voir. ». Tout rejeter, pour ne plus souffrir. La décision était séduisante, tentante même. Mais peut-être fallait-il vraiment souffrir pour le comprendre et ça, le jeune homme ne connaissait pas. Pas encore. Alors, de sa voix beaucoup trop moralisatrice en réponse au jugement de son ancien ami et rival : « Et ces "petits chiens" étaient tes frères d'armes. Nos frères d'armes, il n'y a pas si longtemps. ».

Alistair se redresse, perdant sa posture défensive, la bataille ne serait visiblement pas avec les armes. Il se décida alors à tendre, encore une fois la main vers le pourfendeur, voulant trouver un terrain d'entente, un compromis. Il soupira avant de reprendre : « Visiblement, nous sommes sur la même mission. La logique voudrait que l'on s'entre-aide. Ou que l'on travaille un minimum de consert. Nous serons plus efficace et la récompense sera meilleure, vu que l'argent est par tête. ». Pragmatique. Au moins il savait que mercenaire comprendrait ce langage. Celui de l'argent.

Le cerf blessé, qui traîne sur le sol, laissant derrière lui une traînée sanguinolente. Voilà ce que tu es, face à Alistair. Le retour en arrière, le passé qui te désespère. Peut-être t'achèvera-t-il, te ramenant si loin derrière, retrouvant en sa compagnie la douleur de votre amitié, de cette période de ta vie où t'as bossé pour ces illuminés, oeuvrant au nom de la sacro-sainte justice, celle sur laquelle tu marches allègrement maintenant. Celles que tu piétines de ta semelle sanglante.
Et eux. Les responsables. Les coupables.
Tout homme respirant est punissable de lui avoir survécu.
Voilà ce qui s'inscrit en lettres de feu dans ton esprit. Alistair ne fait pas exception à la règle. Il était là, lui, ce fameux jour, posant sa main sur ton épaule, le corps de ta femme sans vie reposant entre tes bras. Tu l'aurais frappé, décimé, éventré. Qu'il ose ne serait-ce que l'approcher, après l'avoir cruellement abandonnée, en quelque sorte, après l'avoir tuée.
Le regard dur, le regard froid, qui se fige en lui, pénètre en son âme, en son esprit. Tu veux qu'il ressente cette culpabilité. Tu veux l'agenouiller, le faire trembler, le voir se répandre en pleurs, s'excuser. Implorer ton pardon que, dans ta grande bonté, tu donneras dans la mort. La mort et l'oubli.
▬ J'ai vu, moi. J'ai vu la mort dans mes bras. C'est elle, la seule, en laquelle je crois. Ta justice, garde-là. Epouse-là, baise-là, défonce-là, mais laisse-là aux imbéciles. A ceux qui espèrent garder ainsi foi en la vie.  

▬ Frères d'armes ? Tu laisses échapper un ricanement, la mort dans l'âme. Tu es mauvais Geory, aussi mauvais que la nuit quand elle s'arme d'une ombrageuse sévérité. ▬ Ils n'ont de frère que de nom, tu le sais aussi bien que moi. Qui m'a aidé à retrouver le coupable ? Qui m'a aidé à la venger ? Un sifflement de haine qui franchit la barrière ténu de tes lèvres.
▬ J'emmerde votre justice qui ne concerne que les vivants, votre justice qui n'a pas rendu les hommages à Lucia. Tu sors l'arme de son fourreau, la tend devant toi. Frères d'arme. Frères, non...
Seule l'arme, en effet, vous unit. Elle vous unit dans cette danse macabre que vous faites tournoyer autour de vous, prétextant savoir où est le bien, vous octroyant ce pouvoir divin.
Tu as décidé de choisir ton propre chemin. Celui où nulle justice ne prévaut face à une autre, celui où tu es tout droit dirigé vers ce qui t'importe vraiment. Celui où tu ne fais pas croire œuvrer pour une grande cause, sinon la tienne. La sienne. Lucia.
Il tend la main, te propose une alliance. Et ton cracha qui s'écrase sur le sol, à ses pieds. Et ta désunion que tu signes ce jour, coéquipier estropié. ▬ Je n'ai pas besoin de plus d'une proie, et il est hors de question que j'aide tes chiens. Le désespoir, au creux de tes reins.
Et quelque part, dans ton âme, bien loin, ce quelque chose que tu voiles et dissimules à des lieux de la réalité qui t'étreint, cette vague lumière au fond de tes prunelles, à la vue d'Alistair. Quelque part, cette sensation salutaire. Cet ailleurs, bien au chaud, derrière la couleur de ta folie.

Encore une fois la réponse ne tarda pas. Singlante. Violente. Comme une gifle que l'on assène à ce garnement effronté. Qui sert les dents sans rien dire parce qu'une part de lui porte le poids de la responsabilité. Il n'avait pas réussi à soutenir son ami. A défier le regard vide de la mort, à avoir baisser les yeux face à la dure réalité des choses. Encore trop jeune. Trop naïf. L'espoir en étendard dans un fierté mal placée. Et Alistair serrait encore les dents tout en encaissant. Dur était le fait de le revoir ainsi, transformé, son ami mort en même temps que le souffle de Lucia. Et pourtant les paroles du capitaine semblèrent toucher une cible invisible dans l'esprit du mercenaire qui rendait coup pour coup. L'arme en elle-même vint sortir de son écrin, dans un défi qui souligne ses paroles. Alistair reste stoïque, gardant son regard sur celui qui se changeait en son adversaire. Presque las. Il ne put que répondre à ses paroles :

« La vengeance n'est pas la justice. Elle n'apporte rien que plus de malheur et un cercle vicieux qui jamais ne s'arrête. Demandant toujours plus, un tribu que jamais personne ne pourra assouvir.. ».

Le paragon de vertu dans toute sa splendeur, celui qui rêve d'équilibre dans un monde bancal. Utopiste toujours à la recherche de cet idéal à atteindre. Mais il aurait bien le temps d'apprendre et de nuancer quelque-peu ses propos. Surtout qu'ils se doutaient bien qu'ils allaient glisser sur Geory comme l'eau sur le plumage d'un canard. Le capitaine eut une pensée pour Merril qui serait entrain de sourire mais aussi soupirer de lassitude face à son entêtement d'essayer de raisonner quelqu'un d'absent. De déjà mort. Le rejet supplémentaire ne faisait que confirmer cette pensée. Ce désespoir et surtout cet étau qui se resserait dans le coeur du grand blond. « Comme tu voudras . », lâché avec résignation, mais aussi douleur. Palpable. Alistair avait toujours été une personne expressive, il ne s'amusait pas à cacher ses émotions derrière un rideau de faux-semblant. Même si ses amis le lui avaient toujours vivement conseillé. Ses amis. Son ami.

La perte d'un ami. D'un frère. Il ne trouva qu'un moyen de tenter de lancer un dernier électrochoc. Surtout que l'insulte commençait sérieusement à remuer ses tripes et sa fierté de mâle alpha pas si bien placée. Ce fut probablement pour cela qu'il reprit la parole avec ces mots  et qu'il savait que cette phrase le ferait immédiatement réagir : « Arracher une vie ne rend hommage à personne. Encore moins à Lucia.. ». Car il avait eu la chance de rencontrer la belle, dans une autre vie. Loin de se prévaloir de bien la connaitre, il se doutait bien que tuer, de toutes façons, ne la ramènerait pas. Le chevalier eut presque un air de dédain : « Comme si les morts pouvaient parler .... ».

Presque d'instinct, il dégaina à la suite son arme. Comme protection, juste au cas où. Car il se demandait bien si cette nouvelle provocation signerait le bruit du fer qui s'entre-choque. A moins qu'il ait véritablement le temps de prendre ce bouclier dans son dos. Non, il voulait encore attendre, ne pas perdre espoir définitivement au point de se cacher derrière des murailles. Une mise en danger peut-être vaine mais probablement salutaire pour les deux, à venir ...

Il te fait sa grande morale sur ce qu'est la justice et le devoir. Alistair, fidèle à lui-même. Chevalier servant, héros du bien, de ce qu'il faut, toujours, toujours certain de détenir la raison, d'en avoir l'unique possession. Tu appréciais ses talents, autrefois, mais déjà te battais contre son utopiste alarmant, sa certitude de toujours différencier le bien du mal, sans savoir percevoir le gris dans ce monde animal.
Et son désir d'utopie s'est transformé pour toi en dystopie.
Quand tu es revenu, et qu'elle t'a rendu sa vie.
La cruauté de ce monde pour lequel tu te sentais autrefois bien armé. Parfois, dans tes sombres cauchemars, tu t'es pris à rêver d'Alistair connaissant vraiment le monde des damnés. Qu'il perde, lui aussi, un être cher, qu'ainsi il comprenne que le monde n'est pas cette dualité franche qu'il s'est toujours imaginé. Incapable de mentir, de tromper, de tricher. Petit ange tombé sur une terre trop malfamée.
Tu as toujours été le gris, dans cette affaire. Rendu gris par la présence rassurante, douce et tendre de ton épouse, de Lucia. Vous formiez un bon mélange, une bonne utopie dans ce désert aride de la vie. Et puis le blanc t'a quitté, définitivement. Tu n'es désormais plus que d'une noirceur effrayante, capable d'ôter des vies comme de pisser, sans un émoi, sans une parole. Rien d'autre qu'Ailassa qui parle à ta place quand tu te ronges dans ce mutisme inquiétant, persistant. Cela fait bien longtemps que tu n'as pas tant parlé à un homme. Bien longtemps que ta langue ne s'est pas déliée. Tu mourrais plutôt que de l'avouer, mais Alistair te pousses à répliquer. Quelque part, il te ramène dans l'autrefois, dans cette vie dorée que vous vous étiez crées, elle et toi. Il ranime quelque part ce quelque chose que tu croyais définitivement envolé, ou pire - noyé.

▬ N'es-tu pas épuisé de toujours croire que ce monde est peuplé de bonnes gens ? Que la justice ne prévaut que pour les vivants ? Ne t'es-tu jamais demandé, quelque part, si tu te leurrais ? Si peut-être tu voyais le monde par ton biais, sans te soucier de ce qu'il est vraiment ? Alistair paraît souffrir. Tu le vois en son visage, en ses yeux qui te regardent, désolation au fond des iris. Il ne te reconnaît pas. Il prend conscience de ton trépas. Et l'image qu'il te renvoie, elle est précisément celle que tu es désormais - pourfendeur des terres arides, vengeur des femmes trahies, assoiffé du sang des hommes, coupables du simple pas qu'ils laissent derrière eux. Odieuse forme de Kendassa, qui ramène en enfer ceux qui le méritent, par le doux biais d'Ailassa.
Et ce dédain lorsqu'il ose prononcer son nom, lorsqu'il ose dire Lucia. Geory en a tué certains pour moins que ça. Pourtant, tu te contiens, figes un sourire cruel et sadique sur le bord de son visage. Il n'y a guère plus inquiétant que celui qui ne réagit pas. Tu as conscience qu'il ne faut pas lui laisser ce souvenir, celui d'un homme idiot, abruti par la vengeance qui fait vibrer ses tripes. Tu as au moins cet éclair de lucidité.
Mais le regard que tu lui portes ne trompe pas. Cette haine au fond des iris, cette terreur que tu souhaites instiller en lui, en l'autre, en cette bouche immonde qui profane le nom divin de ton épouse. Il sort son arme, tu ranges la tienne. Et ta voix, elle non plus, ne trompe pas. Elle vibre de la colère sourde qui te ronge. Et ta voix qui claque. ▬ Ne t'avises plus jamais de prononcer son nom. Cette menace qui fend l'air. ▬ J'espère sincèrement que tu connaîtras cela, un jour, que tu sauras faire preuve de plus de bon sens que moi. Odieux Geory, odieux. Monstre avide de sang, avide de l'horreur, du carmin sur tes mains, du fer en tes narines. Toi qui ose souhaiter si terrible destin à un homme qui de nombreux jours fut tien.

▬ Tu n'as jamais su lui rendre hommage de son vivant. Trop occupé à commander ses troupes, à œuvrer pour rendre au monde ses lettres de noblesse, fausses, idylliques, utopiques. Mais si occupé qu'il n'en arrivait même plus à voir la beauté qui, juste à ses côtés, s'épanouissait chaque jour. Et le bébé qui grandissait en son sein.
▬ Je n'en attendais pas moins de toi à son trépas. Nouveau cracha de son côté. La haine, le dégoût pour cet être qui se dit vertueux, mais qui n'a jamais su l'être en réalité. Du moins est-ce ce que la folie te fait dire, faisant vaciller les souvenirs heureux au profit des terreurs qui hantent tes nuits.