Les mots de Satine firent sourire son amant. Il était son roi, mais elle était sa reine. Depuis plusieurs mois désormais, il la considérait comme tel. Parfois, il se surprenait à rêver, dans son sommeil, que ce voeu se réalise. Sauf que le matin, lorsqu'il se réveillait seul dans son vaste lit, il se rendait compte que ça n'était pas réel. Que Satine ne pouvait être à ses côtés chaque nuit, que leur amour ne pouvait être révélé au grand jour. Ils avaient appris à vivre avec jusque là, mais les années passants, le besoin de se sentir plus proche s'intensifiait. Leandry avait besoin d'être à ses côtés, de la savoir en sûreté dans ses bras et non dans ceux d'un autre. Ceux de son frère.
Satine raconta que le peuple serait de son côté. Parce que Leandry lui avait toujours été proche, parce qu'il l'avait toujours écouté, parce qu'il avait toujours fait tout son possible pour réaliser leurs souhaits. Contrairement à Barahir qui agissait poussé par les envies mauvaises de sa femme-vipère qui crachait son venin petit à petit sur le royaume... Dans un battement de cil, Leandry se retrouva projeté des années plus tôt, lorsqu'il fusse monté sur le trône le temps que son frère prenne de l'âge. Il se revoyait acclamé par la foule qui scandait son nom. A l'époque, il ressentait une fierté débordante. Aujourd'hui, face à face avec ce souvenir, c'état une boule qui se logeait dans son ventre. Le trac. La peur de ne pas convenir. Le doute de faire de mauvais choix. L'inquiétude d'avoir tout un empire sur lequel régner. L'attente de tous de l'amener vers la paix. Tant de responsabilités qui crouleraient à nouveau sur ses épaules... Voulait-il vraiment tout cela ? Toute cette gloire, cette passion, cette amour. Leandry ne pensait pas au simple fait d'être de tout pouvoir et de pouvoir enfin faire de Satine sa reine, sa vraie reine couronnée. Il voyait plus loin. Il imaginait déjà l'avenir. Ainsi que le plaisir, ou l'effroi, que ça pourrait lui provoquer.

Le ton ambitieux qu'emprunta sa belle était de trop. Leandry était foncièrement opposé à son frère en plusieurs points. Leurs avis divergeaient, les disputes éclataient. L'aîné aimait la favorite du cadet qu'il considérait comme sienne. Barahir était manipulé et aveuglé par l'amour d'une femme qui le rendait mauvais. Tous ces points, tous ces différends. Leandry aurait pu le détester, Leandry aurait pu vouloir voir sa tête tomber.
Mais Barahir était son frère. Son sang.
-Constates-tu les mots que tu uses ? fit-il le ton plein de reproches. Barahir est mon frère. Je sais que tu couches avec lui. Ca me rend fou. Mais ce n'est pas une raison pour perdre la tête. C'est moi qui ai forcé la situation pour qu'elle soit ainsi. Je récolte ce que je sème.
Satine l'imaginait déjà couronné, siégeant sur le trône à ses côtés. Mais la route serait longue et périlleuse. Certes, ils ne devaient pas perdre de vue leur objectif. L'objectif premier de Leandry étant de vivre heureux et ouvertement avec Satine. Qu'ils soient roi et reine, prince et princesse, ou courtisan et courtisane, voire même sans-nom, il n'en avait que faire.
-Et je règlerai cela moi-même, sans y mêler de soldats. Je ne tolérerai jamais un coup d'Etat envers mon frère orchestré par ma personne.
Les lèvres pincées, le regard de glace transperçant, Leandry était sérieux. L'ambition de Satine pourrait le mener loin s'il l'écoutait à la lettre. Mais cela ferait éclater la fratrie. Cela mettrait en danger son frère. Il se refusait cela.

Leandry avait été dur, c'était bien vrai, mais il ne regrettait en rien ses paroles. Il fallait que les choses soient claires. Le prince avait maints différends envers le Roi, ils se méprenaient sur bien des sujets et bien des manières de gouverner. L'aîné voulait tout faire pour aider son cadet à se débarrasser de sa femme qui lui pourrissait la vie sans qu'il ne s'en aperçoive et ce coûte que coûte. Barahir était son frère, son sang. Lorsque l'on parlait de sa famille, c'était bien là le seul moment où Leandry ne se sentait plus lion, mais loup. Un loup qui faisait partie d'une meute, qui pardonnait, qui acceptait les erreurs du passé pour pouvoir avancer, ensemble. Leandry était prêt à pardonner Barahir, il était prêt à vouloir tout reprendre de zéro s'il le fallait pour qu'enfin ils s'entendent... Mais c'était très loin d'être gagné.
Satine comprit qu'elle était allée trop loin. Saisissant ses mains, elle lui offrait des excuses. Elle voulait vivre pour toujours auprès de son amant, elle serait capable de bien des choses pour y parvenir. Leandry le savait. Lui aussi, rêvait de cette relation parfaite qu'il pourrait entretenir avec elle. Mais il était obligé de mettre des freins là où elle ne semblait pas en avoir... Afin de les préserver de l'empressement.

Elle n'était pas bien, sa Satine. Il le perçut dans ses yeux clairs. L'homme se radoucit. Il ne voulait pas lui faire du mal, aucunement. Il voulait simplement lui faire comprendre que, malheureusement, ils devraient attendre... Encore.
-J'ai été dur. Je l'admets. J'espère simplement que tu as saisi où je voulais en venir, expliqua-t-il, marquant une pause avant de ponctuer par, tu as aussi un frère, tu sais à quel point on s'attache à eux, aussi sots soient-ils.
Radouci, il lâcha les mains de sa belle pour l'entourer de ses bras. Il caressait paisiblement ses cheveux doux et soyeux.
-Je sais que le temps est long. Je sais que les épreuves sont difficiles.
Il se recula d'elle un tout petit peu, juste assez pour percevoir son regard. Il se laissa aller au sourire, amoureux.
-Nous allons devoir tenir encore. D'accord ?
Ses doigts glissèrent lentement le long de ses bras puis, atteignant ses hanches, il s'y arrêta pour l'approcher plus proche de lui et poser son front contre le sien. Il ferma les yeux, couvrant ses perles saphir et respirait tranquillement, savourant son parfum de fleurs.