Les battements de coeur du prince semblaient s'être calqués sur ceux de sa douce. Leur respiration, régulière, les unissait d'un seul souffle. Ses paupières battaient des cils lentement, son regard étincelait. Il espérait qu'elle reste. Il espérait tant. Il le voulait tellement. Il la voulait tellement. Pour lui et lui seul. Ce besoin de possession le gagnait peu à peu, ébranlé par l'unique pensée de la savoir dans le lit d'un autre. Il voulait être le seul capable de l'embrasser, de la serrer dans ses bras. Il voulait être le seul à partager ses draps, à trouver avec elle des moments d'intimité précieux. Il voulait être le seul à habiter ses rêves.
C'était égoïste de penser ainsi. Affreusement. Il l'avait projeté dans son lit en connaissance de cause. Il lui avait offert une place dans son coeur en connaissance de cause. Il savait que ça ne serait pas possible et il l'avait fait quand même.

Seulement, lorsqu'elle se retourna pour croiser ses yeux émotifs, il comprit. Il comprit qu'il pourrait faire faire l'impasse sur ce besoin de possession. Il comprit que pour ses yeux, pour honorer la manière dont elle le regarde, il pourrait la partager avec un autre. Leurs regards entremêlés à nouveau, le coeur de Leandry se mit à battre plus fort.
Elle n'en croyait pas ses oreilles, la jolie fleur. Elle ne pensait pas possible qu'on ne l'aime pour autre chose que son corps. Elle en était déstabilisée. Elle se demandait si cela était possible. Tout cela semblait si irréel à ses yeux. Elle vint à demander s'il la désirait encore, pour qu'il lui demande ainsi de rester. Ne comprenait-elle donc pas ? Verrait-elle cette flamme qui brûlait dans les yeux du prince, entendrait-elle son palpitant affolé qui témoignait des sentiments à son égard ?
-Satine, commença-t-il, se redressant, pour se retrouver à sa hauteur. Bien sûr que j'ai envie de toi.
Il saisit l'un des draps et le passa autour du corps dénudé de sa belle. Pour ne pas qu'elle ait froid et surtout pour lui prouver que ses courbes ne faisaient pas tout d'elle. Elle n'était pas que cela.
-Mais pas comme lui.
Il préférait ne pas prononcer son nom, au sein de leur idylle secrète, de peur de la briser. Leandry glissa sa main sur la joue de Satine.
-Je ne veux pas que tes courbes. Je te veux toi, ton âme, ton esprit. Tes rires et tes pleurs. Tes sourires et tes colères. Je veux partager tout cela avec toi. Si tu veux de moi aussi.
Sa paume glissa jusque dans son cou, son pouce caressant doucement sa peau pâle sur son passage. Vaincu par ces sentiment harassants qu'il ne pouvait refouler, il ferma les yeux et posa son front contre celui de sa belle.
-Je ne sais pas si je peux me permettre un tel aveu. Pourtant, sache que je t'aime.
Gardant les paupières closes, il poussa un long soupire, immobile, sentant lui aussi le souffle de Satine sur ses traits.
-Tu peux rester si tu penses ressentir quelque chose pour moi. Sinon, tu peux t'en aller. Je ne te retiendrai jamais contre ton gré.

Il voulait l'enlacer. Il voulait la garder contre lui pour toujours. Il voulait passer toute une vie à ses côtés. Il le savait. Il n'en douterait jamais. Satine faisait battre le coeur du prince comme aucune autre n'avait su le faire. Leandry avait été attiré par la belle non pas par ses courbes, mais par son regard. Ces perles saisissantes de douceur en quête d'un amour éperdu. Puis, de son sourire éclatant qui réchauffait son corps. Et aussi, par sa voix, enchanteresse. Il pourrait l'écouter parler des heures durant, sans rien dire, jusque pour l'entendre. Il pourrait caresser sa peau douce toute une nuit durant, car il n'avait jamais rien frôlé d'aussi précieux. Leandry ne s'était pas encore remis de sa chute ; parce qu'il était tombé amoureux. Et s'il ne s'était pas encore blessé, l'impact se ferait bientôt ressentir. Il le ressentirait lorsqu'il la verrait partir au bras de Römhen, lorsqu'il la verrait passer le pas de la chambre du roi. Là serait l'atterrissage. Douloureux. Terriblement. Mais il avait signé pour cela, en lui témoignant sa flamme. Il se devait d'honorer cet acte et ce secret dans lequel ils s'étaient emmenés.

Elle lui murmura ce qu'il attendait en retour. Je t'aime aussi. Son coeur manquant un battement. Son corps, auparavant tendu en attente de la réponse, se laissa aller. Sans s'en rendre compte, il lâcha un soupire de soulagement. Jamais une petite phrase ne fut si honnête à son égard. Si sincère. Murmurée entre les lèvres de Satine, elle prenait tout son sens. Et Leandry, il voulait le hurler. Il voulait se lever et le crier à la fenêtre, le crier à l'oreille de son frère. Mais jamais il ne pourrait.
Satine se laissa aller dans les draps, Leandry l'imita et la laissa se lover contre lui. Il l'entoura de ses bras, la serrant contre son torse. Il était partagé, le prince. Partagé entre le bonheur de savoir ces sentiments réciproques et la sentir au plus proche de lui, et entre la tension que ça lui ferait encourir. Sa belle parut le sentir, puisqu'elle frissonna en soufflant d'autres mots; j'ai peur. Il tressaillit lui aussi, le prince. Car ces mots-là aussi étaient terriblement sincères. Il le sentait jusque dans ses entrailles.
Et plus que tout, lui aussi était terrifié. Mais ça, il ne pourrait pas lui avouer. Il portait leur amour, leur union secrète, sur ses épaules et jusque dans sa tombe. Il ne ferait jamais encourir le moindre risque à l'élu de ses songes... Pourtant... N'en était-ce pas déjà un, ce qu'ils étaient en train de faire ?
-Crois-en nous. Nous serons de parfaits amants secrets.
Il sourit. Il était sur son petit nuage, le prince. Il n'avait pas l'air de saisir tous les enjeux. Car tant qu'il était avec elle, dans ce lit, il avait le sentiment d'être invincible. Alors qu'en fait... Il n'en était rien.
-Nous ne ferons rien qui nous mettra en danger. Nous ne tenterons pas Legnar. Notre secret le restera.
Il la lâcha pour se pencher au-dessus d'elle. Il prit l'une de ses mains entre la sienne et la regarda droit dans les yeux.
-N'aie pas peur. Et vis.
Un enfant, Leandry. Un enfant perdu dans les enjeux des géants. Son amour demeurait naïf le temps de cette nuit après d'elle. Mais à l'aube, il se rendrait compte qu'il n'avait pas rêvé.