Du satin dans ses mains.
Elle ajuste sa robe, replace une mèche rebelle à l'intérieur de sa tresse, referme la perle d'émeraude qui enserre son cou. La voilà belle.
Debout. Il est temps de franchir la porte de sa chambre, de quitter le doux confort de son antre. Elle sait le roi hors de la contrée, et cette idée la réjouit. Non qu'elle ait quelques griefs à son encontre, mais elle sait qu'il lui sera plus facile de rencontrer son frère aîné. A cette simple pensée, c'est un grand sourire qui orne le visage de Satine plus joliment encore que les perles qui l'honorent. L'amour la redessine.
De sa démarche féline, Satine franchit le couloir et les escaliers qui la séparent de l'extérieur. Un grand soleil rayonne sur les arbres qui l'environnent.
Elle s'arrête un instant, profite du moment. Les rayons dardent sur ses cheveux leur chaleur bienvenue, et sa main se faufile sur sa hanche ingénue. Elle sait qui elle va rejoindre, et a tout mis en oeuvre pour se rendre désirable. Ses yeux de biche se ferment au rythme de son cœur qui bat. Elle songe à ce qui le fait heurter contre sa poitrine délectable.
Seul lui importe de lui plaire, à lui, l'homme mystère.
Ses pas la mènent tout droit aux jardins. Elle y connaît certains coins où les feuillages verdissant la cachent aux regards des passants. Satine entretient autour d'eux un secret qui les nimbe d'un halo de regret. Elle aurait tant désiré s'afficher à son bras, marcher fièrement à ses côtés, plonger à la vue de tous ses yeux en les siens et crier au monde entier le bonheur qu'elle entretient. Néanmoins, leur situation est toute autre, et si leur amour hurle d'un plaisir contenu, il se terre, clandestin.
Un soupir jeté à la face du destin.
Bien vite, le vent du plaisir éloigne la pâleur du soupir. Nulle tristesse n'a sa place en son visage lorsqu'elle se rend auprès de lui. La joie anime à nouveau ses yeux, et elle marche, elle marche à sa rencontre, elle marche pour rejoindre la chaleur de ses bras, de sa voix.  
Quelques pas. Et le voilà.

Il est beau. Il l'attend, précisément à l'endroit où ils ont leurs habitudes. Un petit cocon de paradis encadré savamment de feuillages, dans lequel la tendresse de leur amour ne risque pas d'être découvert. Et les feuilles séculaires demeurent témoins privilégiés de leur idylle.
Ses cheveux remuent au gré du vent, ses yeux se tournent à son approche, c'est captivant. Satine a les étoiles dans les prunelles, et il lui semble soudainement que c'en est fini de ses tourments. Un seul regard sur lui et elle en oublie tout, jusqu'aux craintes qui lui tordent parfois les intestins. Etre découverts lui paraît un doux destin, si tant est qu'elle demeure en sa présence. Les flammes de l'enfer oui, en ta régence.
- Mon amour.
Un murmure lancé au gré du vent. Un murmure qui titille ses tympans.
Elle s'installe à ses côtés, dépose un doux baiser sur ses lèvres, non sans avoir épié les environs. Sa main retrouve sa place première, sa préférée, le creux de son cou, caresse sur sa joue. Elle y est comme un écrin.
- Il me fait chaud au cœur de te retrouver, mon soleil. Qui n'est pas que là-haut, dans le ciel.  

Et tu le dévores de tes yeux clairs,
et tu te délectes de ses rayons,
de sa présence stellaire.

Elle se sent si bien en sa présence. Son cœur trouve en lui un réconfort permanent, une douceur éternelle, palpitations charnelles. Elle se remémore à son contact leur tout premier regard.
La flamme est toute aussi vive qu'en ce jour béni. Elle revoit cette fascination instantanée qu'elle a éprouvé à son arrivée. Elle se souvient de leur petit jeu de séduction, tourne, tourne, papillon, de cette crainte d'être révélée, mais de ce besoin de constamment y aller. Elle aurait tout donné pour ne pas céder. Fraîchement arrivée à la cour, elle était déjà bien trop occupée à séduire le roi, à s'assurer qu'elle le garderait dans ses filets. Mais elle ne pouvait nier que le cours de ses pensées l'entraînait sans arrêt sur son frère et son regard étoilé.
Lui. Tout tournait autour de lui. Son sourire, son regard brun, sa stature imposante, sa carrure royale. Cette classe inhérente l'avait touché bien plus qu'elle ne s'en doutait. Le tourbillon de ses pensées ne cessait de la tourmenter, jusque dans la couche du roi.
Et puis, ils avaient cédé. Ça c'était fait naturellement, doucement, délicatement, à l'image de l'amour qui les lie maintenant. De ce jour, ils gardent un souvenir émerveillé. Mais ils savent aussi que c'est précisément le jour qui causera leur perte.
Satine ne regrette rien. Et si elle doit en mourir, elle le fera dignement, heureusement, sans désavouer aucun de ses liens.

- Rien ne m'aide à passer les heures qui me séparent de toi. Mélodie, mélancolie, échanges de paroles entrelacées qui signent leur retrouvaille de félonie. Elvira. Et ce doux nom qui résonne si bien dans sa voix.
Il est le seul à le connaître. Il est le seul à concevoir bon nombre des secrets qui sont les siens. Il est le seul à pouvoir faire vibrer son cœur d'un tel émoi. Satine tremble à ce doux opéra. Elvira. Elle tremble à l'entendre susurrer ce nom dont il a la primauté. Cela la ramène à une vie dont elle ose à peine rêver, une vie où elle n'est qu'à lui.
Douce chimère. Fantasque imaginaire.
Les oiseaux chantent dans les arbres avoisinants. Ce chant ne contribue qu'à rendre plus magique encore ces retrouvailles tant attendues. - Bien mieux depuis que je suis avec toi. Susurre-t-elle dans son oreille en embrassant sa joue. Et cette paix qu'elle ressent dans ses bras ne trouve aucun équivalent. Elle lit l'amour qui brille dans ses yeux. Se perd dans ce contact chaleureux. Et c'est une ombre qui le traverse.

- Quelque chose te déplaît peut-être ? Te dérange ? Je vois dans tes yeux que tu as l'air inquiet. Elle lit en lui comme dans un livre.
Elle a peur, surtout. Cette ombre ne lui est pas inconnue. Leur situation les oblige à s'ouvrir toujours aux moindres dangers qui rôdent. A surveiller leurs arrières. D'angoisse, comme pour se rassurer, elle caresse son émeraude.
Le sourire a quitté son visage alors que, suspendue à ses lèvres, elle attend la réponse. Qu'il rouvre la bouche pour la rassurer. Qu'il lui dise que rien ne viendra plus jamais troubler leur liaison perfection. Que l'avenir leur appartient. L'avenir leur tend les mains.
Et cet avenir rougeoie, flamboie au gré du vent.
Sans jamais s'assurer de l'éternité de votre présent.

Le soleil les enveloppe d'une aura protectrice.
Le bonheur l'environne d'une excitation affective.
Elle ne se sent jamais aussi bien que dans ses bras. C'est pour elle une illustre évidence. L'amour comme un contrat. Tacite, certes, mais quelque chose d'établi tout de même entre eux, la certitude de leur émoi, et le désir mutuel de demeurer ensemble. Pour toujours, et à jamais. Comme une union secrète et mystérieuse qui a le soleil et les oiseaux en témoins. Et la nature leur donne sa bénédiction, elle valide leur décision.
Il passe sa main sur sa tresse, la caresse doucement. Les frissons parcourent son corps, rien qu'à un regard de lui, tendrement. Roucoulements. Satine s'est toujours crue confinée dans un avenir qu'elle n'avait jamais décidé. Donnée en cadeau aux bras décideurs du roi Thoron, elle n'a pas eu son mot à dire, et la situation, par le plus grand des hasards, lui a immédiatement convenu. Toutefois, elle voit en Leandry un moyen subtil de reprendre le contrôle de sa vie. D'y amener le piment tant désiré, de décider enfin ce qui importe dans son existence toute tracée.
Il est là, son choix. Juste en face d'elle, dans ses bras. Et pas un instant elle ne regrette le virage dans lequel elle se lance. Qu'advienne la mort, que sa tête se décroche de son être, peu importe son insolence. Elle est prête, et plus encore lorsqu'elle plonge son doux regard dans le sien, et y lit tout l'amour qui y vit. - Comme tu es l'élu du mien. On sait que nos destins sont liés, quoi qu'il advienne. Gardienne de son cœur, gardienne de son affection.

Mais cette ombre dans ses yeux, ce je ne sais quoi moins chaleureux, cette vapeur obstruant la clarté de ses iris. Satine craint le pire, elle connaît les méandres du destin, comme la vie se joue parfois de ses aléas. Elle sait aussi que son être ne pourra demeurer toujours aussi beau, toujours aussi charnel. Qu'un beau jour, la douce ligne bien droite qu'est son existence commencera à dériver, prendre des virages impromptus non désirés.
Et là, au fond d'elle-même, elle sait. Elle sait qu'à l'horizon se profile des difficultés, des ombres ténébreuses. Que quelque chose mettra un terme à son succès. Elle a ce quelque chose qui palpite dans son cœur, cette crainte, cette angoisse, l'étreinte de la peur maléfique et malfaisante. Cette attente est insoutenable.
Et puis, finalement, savoir est pire. Inéluctable.
Elle hurlerait de ce que la vie leur impose. Elle pleurerait de ce qui les oppose. Le lien se dénoue, se délie, à l'évocation de cette union maritale. Elle sert sa main plus fort encore, mais, naturellement, la relâche. Sans y penser, délicatement. L'étreinte se desserre. Au fond d'elle, elle sait que quelque chose va s'arrêter, se défaire.
La larme roule sur sa joue, y dépose une longue trace de son œil à sa bouche, qui se réverbère au soleil. Le diamant de la douleur. Inscrit sur sa peau. Tatouage de ses tourments. La fin de leur tempo.
- Je... Sa voix s'étrangle. Elle se force à poursuivre, ne pouvant laisser Leandry s'en vouloir ainsi. - Je ne peux t'en vouloir, tu n'es en rien responsable. Ce n'est pas contre lui qu'elle en a. Ce n'est d'ailleurs contre personne, si ce n'est le fracas qui tambourine dans sa poitrine.
Contre le destin qui leur pourrit la vie.
Contre le sort qui ne leur laisse pas le droit d'aimer ce bonheur qui les lit.
Contre la providence qui les hait et les sépare.
Et leur extase est remise à plus tard.

- Qui est-elle ? Elle plonge son regard en larmes dans celui de Leandry. Elle le regarde comme s'il allait mourir dans un instant, comme si la vie les empêchait de se rejoindre à jamais. Comme si la destinée les éloignait.
- Tu vas véritablement accepter de partager la couche d'une autre que moi ? Tu vas vraiment te montrer aux autres en tenant une autre main que la mienne ? Lui sourire et te perdre dans ses sourires ? D'autres sourires que les miens ? La jalousie lui tord les entrailles en tout sens, s'amuse à pétiller dans son cœur alarmé. Cette colère sourde n'est pas destinée à Leandry. Elle n'est pas contre lui. Néanmoins, elle s'exprime, rageuse, en un cri, un cri de désespoir, un hurlement de douleur.

Elle n'était pas légitime, sa jalousie. Elle l'était encore moins compte tenu des circonstances et du décideur de cette catastrophe. Elle savait, au fond, la petite perle, que le roi n'avait pas eu cette résolution pendant la nuit. Elle savait que, sans doute, il y avait songé, l'idée était née de voir leurs regards échangés. Il se doutait de quelque chose, voilà ce qui se cachait derrière cette vérité. Et ça la détruisait.
Un orage dans son cœur, au fond de son âme. Un orage du mois de mai.
Elle n'est pas légitime, sa jalousie. Mais tout de même, ça gronde au fond d'elle. Il y a ce petit monstre qui grogne, tape du point, hurle de ne pas avoir l'exclusivité. Elle en crèverait, de devoir le partager. Et pourtant... Et pourtant elle demeure dans l'incapacité de pouvoir légitimement le lui reprocher. Elle même le met dans cette situation. Elle même partage les sourires, les caresses, le désir d'un autre que lui. Alors elle crie, elle hurle son désespoir, en oubliant celui qu'il tait depuis si longtemps. Son courage n'a nulle limite, elle n'en a pas autant.
Fragile petite enfant.
Dame Hvitløve. Son nom pue l'amour. Satine la hait déjà, cette inconnue mystérieuse qui a la chance dont elle n'ose même pas rêver. Cette foutue femme qui pourra arborer l'alliance, l'union officielle, celle des mariages avoués. Tendrement Affichés.
Elle ressent cette haine qui bouillonne déjà au fond de son palpitant, cette colère sourde alors qu'elle s'imagine le visage derrière le nom. Elle la voit dans son salon, assise sur son séant que bientôt Leandry caressera amoureusement. Elle voit ses yeux dans lesquels Leandry plongera tendrement. Elle voit ses mains agiles et frêles qui déshabilleront Leandry, fougueusement. Et elle hurle, la petite perle, elle hurle et se fissure. Blessure. Et son cœur devient capitale de la douleur.

Et il la remet à sa place, justement. Il a le droit, Leandry, il connaît cette douleur sourde depuis longtemps. Mais malgré ça, le visage de Satine se referme, se durcit. Petite perle devient rocher. Elle se sent incomprise, aveugle à la raison qui la pousserait à admettre et épouser le point de vue de son aimé. Elle se sent si mal que rien d'autre que son petit confort n'existe à ses yeux. L’égoïsme à son paroxysme.
- Vous serez liés Leandry. Il n'est plus question de désir au fond d'un lit. Vous devrez procréer, que feras-tu avec cette descendance ? Quelle place aurais-je dans ta vie quand tu seras père. Je n'existerais plus. Elle pleure, la jolie perle, elle pleure intérieurement et une nouvelle larme roule sur sa joue. S'extériorise. Prends le large sur son visage. Elle au moins poursuit sa trajectoire, sans se soucier des terribles vagues qui vont les enflammer. Elle va, ligne droite, achever son voyage sur sa manche. Et les gouttes d'eau qui coulent, découlent.
Symbole de son malheur, de ce qui s'écroule.
- Tu es courageux Leandry. Je n'ai jamais dis le contraire. Mais je ne suis pas capable de tes prouesses. Cela me tuera. Et à la fin, tu l'aimeras. Satine a toujours espéré que le roi s'en détache, qu'enfin il la laisse vivre sa vie, sans plus ressentir aucune envie à son égard. Elle nourrissait le sombre désir qu'un jour, peut-être, Leandry lui annoncerait son désir de se lier d'elle, et qu'il accepterait, sans plus s'en soucier que comme une vieille amie. Et cet espoir, envahi de la terrible nouvelle, qui signe la fin pérenne de leurs illusions. Jamais plus il ne sera possible d'espérer. Sans espoir, c'est la dissolution. D'elle, de son coeur, de son amour à jamais perdu. De leurs désirs, de leurs projets, de leurs délires.
et la petite perle tombe en lambeaux.
et elle voit le flambeau de ses espoirs sentimentaux s'éteindre à tout jamais, en un pschit morbide sous le joug du vent.

Il essaye de la rassurer, sa belle, sa bien-aimée.
Mais rien n'y fait. Il a beau s'adonner aux échos rassurants, à la voix douce, aux doigts fins entrelacés dans les siens, s'agenouiller face à elle, beau, pâle, si réel, il ne parvient à rien. Le sourire ne reparaît pas sur son si tendre visage, maculé maintenant de perles de larmes qui poursuivent leur douloureux cheminement et s'écoulent sans fin. Rien. Nulle parole ne peut apaiser le terrible chaos dans lequel elle est plongée.
Et les souvenirs s'immiscent dans ses pensées.
Elle revoit leurs premiers émois, ce regard, qui les avaient menés dans cette issue inextricable. Elle se remémore l'impatiente cour que le prince avait livré auprès d'elle, toutes ces fois, inoubliables, où elle avait du feindre l'ignorance. Elle avait tenté de ne pas s'y livrer, à cette passion inavouée. Elle s'était donnée corps et âme pour oublier. Lui fermer la porte au nez. "Non, ce ne se peut pas". Alors qu'elle rêvait de se jeter dans ses bras, de se perdre dans ses draps. Ce sourire qu'elle réprouvait alors qu'elle mourait de l'enlacer, de lui livrer ses plus beaux joyaux. Elle avait tenté, des semaines durant, de le lasser, de l'ennuyer. Jamais il n'avait eu d'autre regard sur elle, jamais il n'avait eu les yeux froids et vides à son contact. Et, peu à peu, l'évidence s'était faufilée en elle, perverse, malsaine. Il le fallait, elle le devait. Cette voix, sans cesse, le lui hurlait.
Cruel sort de la destinée,
Quand elle s'amuse à vous éparpiller.
Et voilà, maintenant, où tout cela les avait mené. Dans cette fange détestable, de laquelle nul ne sortirait vivant.
Le pire, sans doute, c'est qu'en plongeant présentement son regard dans les prunelles de son bien-aimée, Satine voit le doute s'y immiscer. Elle le voit se demander si peut-être elle a raison. Si, peut-être, dans un certain avenir, il pourrait l'oublier. Et la question qui se pose, qui taraude. Satine, ça la dévaste, ça la désastre.  

Forte. Satine ne l'a jamais été, du plus loin qu'elle se rappelle. Désirable, parfois malveillante, bien vite érudite aux rites de la cour... Elle a certes su apprendre des gens qui l'entourent. Mais jamais elle n'a eu à prouver sa force, sa valeur, sa grandeur. Elle s'est contentée d'être belle, et s'est laissée porter par les courants d'air de la destinée. Jamais elle n'a eu de choix à faire, de décision à prendre, jamais d'occasion de montrer sa force, ni même de l'éprouver. Sauf avec lui. Leandry.
Et il est le seul à l'avoir faite dévier.
- Forte, je n'ai pu l'être que pour toi. Pour que l'on puisse avoir ce que l'on a. Cette passion, cet amour, ce lien qui nous unit. J'affronterai la mort et le bûcher pour ne jamais perdre cette folie. Elle l'a perdu, sans même avoir le doux réconfort de la mort comme oubli.
Elle songe aux horreurs qui l'attendent. Aux nuits de solitudes dans lesquelles elle se demandera s'il est entre ses bras. Aux réveils dévastateurs au cours desquels elle jaugera s'il est judicieux de le voir en leurs absences. A toutes ces journées perdues, gâchées, durant lesquelles elle se contentera d'attiser la flamme d'un roi qu'elle n'aime pas, attendant sagement que les monstres de l'âge ne viennent l'embarquer. Et le néant. L'inconscient.
Et déjà leur lien se déliter,
dans les confins d'une angoisse revendiquée.
Satine est injuste. Satine n'est pas forte. Satine veut mourir des mains de son amant, plutôt que le voir les donner à une autre. Satine ne peut le demander. Petite perle effondrée.
Alors les larmes continuent de pleuvoir. Son amant agenouillé n'y peut rien. Impuissant. Tolérant. - Peut-être parviendrais-je à convaincre Barahir ? Folie. Lueur d'espoir inconsciente, vacillante. Et la mort au tournant. Le doute s'est déjà insinué en lui, elle ne ferait que le confirmer. Au fond, Satine le sait pertinemment. Souhaiter la mort, plutôt que la perte de l'amant ?
Elle saisit les mains de Leandry, s'y raccroche comme à une lueur d'espoir. C'est un regain de folie dans son regard, un relan de vie. - Oui, c'est ça ! Je vais lui parler, je peux toujours le convaincre, lui dire que tu n'es pas prêt, que c'est une idiotie, que tu n'as pas besoin de lui pour trouver la femme qui siégera pour toujours à tes côtés ! Elle parle fort, se lève, brusquement. Oui, c'est cela ! Et un espoir qui renaît.

Se faire tuer, oui, sans doute. Elle le sait Satine, au fond d'elle même, elle le sait comme cette illustre évidence qui autrefois l'a jetée dans les bras du frère du roi, elle le sait, qu'un jour, elle finira la tête au bout d'une pique. Tout cela ne lui importe que peu. Peu face à ce qui l'attend immédiatement, face à cet homme qui les unira, mari et femme.
Et Satine, elle se débat face à l'infâme.
Elle se débat pour pas crever, là, corps et âme.
Legnar. Et ce dieu qui devient doux, prononcé dans la bouche de Leandry. Et la haine, la colère du souverain, elle la craint, la petite perle, mais pas assez pour ne pas la tenter. L'impossible n'est pas Satine. L'impossible n'est pas l'amour qu'elle porte au roi légitime.
Alors cette haine, elle se sent prête à la tolérer, à la supporter. Elle se voit déjà lui conjurer à genoux de ne pas marier son frère, lui proposer tout ce qu'elle a en échange de cette faveur. Elle lui en a déjà tant donné. Elle serait prête aux plus cruels déchéances, aux plus terribles vengeances. Se donnerait, corps et âme, abandonnerait même son amour avec lui pour ne jamais le voir aux bras d'une autre. Oui, son égoïsme est tel. Cesser de le voir et conserver le joyau de son amour secret pour ne pas le savoir dans les bras d'un regret. Pauvre petite fille.
La tête qui lui tourne, et les idées qui se retournent.
Il a raison Leandry. Comme il avait raison tout à l'heure de lui rappeler ses sacrifices, au détriment de sa détresse. Mais là encore, Satine est aveuglée. Elle ne voit rien d'autre que cette abominable crainte qui lui broie les reins. Elle se sent écartelée. On lui enlève une partie d'elle-même pour la donner à l'autre, l'haïe, l’abhorrée.

Il niche son visage au sein de son cou, hume ses cheveux, sa nuque, sa peau. Elle a toujours été apaisée par le moindre contact de son aimé. Elle respire à nouveau, quelques instants, insuffisants. L'oubli. Pérenne, rassurant. Mais l’éphémère est pire, peut-être, lorsque revient la vérité. Comme un coup franc dans la gorge, dans les reins, dans le cœur et dans l'âme. Un torrent qui la brise contre les rochers du désespoir.
▬ Promets-le moi, mon amour. Promets-moi que tu donneras tout pour me rester pour toujours. Elle a plein d'espoir dans les yeux, persuadée qu'il peut tout faire lorsqu'il le veut. Sa confiance en lui est absolue. Elle a toujours été certaine qu'il aurait fait un merveilleux souverain, et que rien ne lui est interdit lorsqu'il s'en donne les moyens. Alors, elle jette sur lui ce regard de gamine éperdue, qui voit son héros, dernier espoir, les étoiles et les paillettes contre le désespoir.
Satine, encore et toujours enfantine.
Elle caresse tendrement sa joue d'un doigt agile. ▬ Cette femme ne te méritera pas. Tu n'as pas à être donné à la première traînée. Tu es tout de même le roi légitime, il faut que tu t'imposes comme tel.
Et cette bouteille lancée à la mer.
Cet espoir délirant aux accents doux amers.
Et s'il reprenait sa place ? Et s'il retrouvait le rôle décidé autrefois par la sainte destinée ? Et s'il décidait de son propre chemin, de sa vaine fatalité ? Satine aux bras du roi. Satine, seule, entre ses draps.

Elle n'était pas là, Satine, lorsque Leandry avait cédé le trône à son frère. Elle n'était pas là lorsque, de la lumière, il était retourné à l'ombre. Sans doute l'aurait-elle empêché de commettre un tel impair. Sans doute l'aurait-elle évité de fuir ses responsabilités. Elle était arrivée peu après, par l'intermédiaire chaleureux de son oncle. De jeune fille bien née, elle était passée favorite d'un royaume, détenant dans ses mains la perle fabuleuse du désir masculin. Et elle se jouait de son roi, le faisait tourner, marionnette aux mains de fée. Elle avait fini par pouvoir lui murmurer quelques désirs dans le creux des draps, et ses envies s'étaient vus exaucés.
De l'ombre à la lumière.
De la lumière à l'ombre.

Satine le regarde, elle goûte délicieusement la caresse de ses mains. Et elle songe au lendemain. Elle songe que cette ombre leur coûtera leur bonheur, que bientôt l'obscurité reprendra ses droits. Et leur amour ne sera plus que fugace nécessité, sauvage absurdité.
Elle le voit qui hésite, elle lit dans ses yeux, dans son âme, cette perle brillante qui témoigne de son incertitude. Il assure avoir bien fait, ne pas regretter son choix, il assume que son destin n'est pas celui d'un roi. Elle le sait, la petite perle, elle sait que les flammes amères du doute s'insinuent encore en son esprit.
Comment être sûr d'un avenir qui chavire ?
▬ Tu aurais fait un bien meilleur roi, je le sais, je le sens en moi. Elle porte sa main à son cœur, pour lui montrer l'antre de ses ardeurs. Le lieu où sa conviction se forme, se forge, dans les chaleurs tournantes de son amour.  ▬ Ton père a commis des erreurs, et celle là en est une. Il n'a jamais su te voir tel que tu es, te mettre à ta juste valeur, à ta juste hauteur. Elle le dévore de ses yeux plein d'espoir, la confiance pétillant en ses iris comme l'amour hurlant ses délices.
Elle le sait, la petite perle. Elle rêverait de le voir reprendre sa place, celle qui est la sienne de droit et de raison.
Attention, petite enfant, tu t'aventures en des terrains dangereux. N'oublie pas où es ta place, et ne vagabonde pas trop près du naufrage.

Elle le regarde, toujours, plongeant dans ses yeux toute la fierté qu'elle lui voue. Pour lui, elle irait jusqu'aux tréfonds des enfers, pour lui, elle donnerait tout ce qu'elle a de plus cher. Et porter sa couronne lui serait une infinie gloire, un désirable espoir.
▬ Crois-tu que ton père aurait souhaité qu'un héritier se fasse dicter son avenir ? Langue acérée, porteuse de douces félicités.

Elle voit la couronne orner délicatement les beaux cheveux ambrés de son amant. Elle le voit, siéger sur le trône, le buste fier, l’œil aguerri, la sagesse au creux du cœur. Elle l'admire, plonger son peuple dans le bonheur. Elle le connaît, elle lit en son esprit toute la bonté qui y réside, toute la douceur qui s'y niche. Il n'a certes pas l'âme d'un thoron, l’œil vicieux et les songes manipulés, mais peut-être que cette contrée ne s'en porterait que mieux.
Satine s'étonne à envisager l'avenir. Un autre espoir, radieux, lumineux, dans lequel elle trônerait sur la plus haute marche de la gloire. Son ambition s'est réveillée, et la petite perle se voit déjà sertir sa couronne de larges diamants. Manipulatrice, elle ne l'est pas. Mais qui diable pourrait bien lui reprocher de placer ses billes dans sa destinée ?
Et lorsque Leandry l'envisage sérieusement, elle rayonne, Satine, elle rayonne de cette gloire qui la rend utile aux hommes. Elle jouit de cette puissance comme d'un opium. Cela l'étonne, un instant, elle cache son contentement. Mais dans son œil, cette flamme nouvelle s'allume.
Et la petite enfant ballottée par les vents du destin,
Qui dans l'ombre, tire les ficelles, sous-terrain.

Elle fait mouche en parlant de son père. Elle voit l’œil de Leandry se charger d'un espoir nouvellement acquis, elle voit naître cette flamme, elle le sent s'interroger à mesure qu'elle devine les battements de son cœur.
Il l'embrasse, chaleureusement. Bouche contre bouche. Leurs lèvres carmins. Et lorsque l'amour la cueille de nouveau au creux des reins, toute sa gloire s'efface au profit d'un sentiment moins néfaste. Roi ou paysan, il n'existe que lui. Il trône déjà en son cœur. Majestueux. Souverain.

▬ Tu es déjà mon roi. Susurre-t-elle à son oreille, enivrée des sentiments qui fondent en son cœur autrefois dévasté.  ▬ Elenna n'est qu'une vague sorcière, elle ne pourra pas longtemps te faire barrière. Ta légitimité est déjà acquise aux yeux du peuple, le reste importe peu. La vérité qui éclate au grand jour, lumineuse, éclaircie. Le peuple n'attend que de pouvoir scander son nom. Peu importe la trahison.
Leandry. Leandry. Le roi retrouve sa place.
Leandry. Leandry. A qui l'on voue nos grâces.
Et Satine ne mesure pas bien la félonie, inconsciente de ce qui se profile, là-bas, au loin. La gravité de cet échange lui échappe, la lourdeur de ces mots ne l’atteint pas. Haute trahison. Et une jolie place de choix sur la potence. Sans savoir encore, que dans l'ombre, plus grave encore grandit en son sein. Plus grave encore naîtra de leur lien.
▬ Si ton frère ne consent pas à réfléchir à ton offre, s'il ne tolère pas de rendre le trône qui ne lui appartient pas, il faudra le renverser. De nombreux soldats te seront plus fidèles, et trépignent de faire cela pour toi. Tes mots sont durs, petite Satine, attention aux risques que tu prends. Plus tard, peut-être, c'est toi qui tombera.