Elle a la peau qui frissonne, sous l'omnipotence du vent d'automne.
Il n'est pas seul à faire naître en elle ces émotions toutes nouvelles, ces étreintes inhabituelles. La situation elle-même l'étonne, l'exaspère. Donnée aux mains inconnues d'un souverain, la petite perle, elle s'est envolée de son cocon enfantin sans rechigner. Sans l'espérer, non plus. Les jeux se sont décidés par là-haut, là dessus, entre les paroles murmurées d'un père et d'un oncle qui souhaitent à travers elles redorer un blason abîmé.
Elle n'a rien demandé, Satine. Rien d'autre que sa tranquillité naïve.
La voilà ballottée entre les mains du destin, désœuvrée dans une cour dont elle ne connaît rien. Les dés sont jetés. La petite perle est noyée.

Elle déambule dans les jardins, tente de faire taire les émotions diverses qui s'entrechoquent au fond de son cœur, essaye vainement de les remplacer par les chants des oiseaux qui bientôt se tairont. La rumeur se propage, et il n'y a qu'elle qu'elle entend, cette délicate rumeur de la favorite arrivant.
Il paraît que tu vas venir habiter au palais, douce Satine. Il paraît que du roi tu vas faire ton laquais. C'est ce que prédisent les étoiles, c'est ce que te dicte le destin. Joli petit jouet, qui se plie sous les vents violents de la fatalité.
Elle est terrifiée, la petite perle. La crainte qui noie son esprit dans une espèce de brume constante, qui fait tortiller son ventre, vibrer son cœur d'une sensation désolante. Cette peur de mal faire, de se tromper, elle qui ne connaît même pas les us et coutumes de la royauté. Famille noblement déchue, dignement tombée dans les méandres d'un passé oublié. Elle ne connait rien, la petite perle. A peine a-t-elle eu vent du physique ravageur du roi, lorsqu'à un bal manigancé par son oncle, elle avait eu l'insigne honneur de lui être présenté. Mais rien de plus. Rien d'autre que sa toute nouvelle nomination de maîtresse royale, propulsée favorite avant même de s'être donnée.

Satine déambule dans les jardins, tente d'apaiser son cœur sous l'odeur délicate des quelques fleurs qui résistent au tumulte automnal. Elle tente de réciter les noms des nobles qui traînent près de la royauté, par crainte de se tromper. A peine connaît-elle la famille royale, à peine a-t-elle eu vent du nom de la reine, celle-là même qu'elle imagine qu'elle aura à craindre. La jalousie est une vilenie. Mais elle fait bien du mal à des cœurs valeureux.
Et la tranquillité de la petite perle gaspillée, abandonnée aux profits des pas qui désormais perturbent le chant des oiseaux. Cette crainte qui se délace dans son cœur, d'enfin trouver âme qui vive en ses lieux. Et, en même temps, la terreur qui revient, plus féroce encore, de l'inconnu qui fait face à ses yeux.

C'est un bel homme qui déambule en sa direction, un bel homme aux cheveux bruns s’agitant délicatement sous le vent, à la voix suave, lascive, la voix invitation. Elle sait se rappeler vaguement de ce visage délicat, l'avoir croisé, dans le passé, à ce fameux bal où elle a mis les pieds et qui lui a valu l'intérêt soudain et immédiat du souverain. Jour maudit des dieux.
▬ Il le faut bien, monsieur. Je crois vous avoir déjà croisé à un bal, le mois dernier, mais mes souvenirs demeurent assez flous. Cela fait beaucoup de visages à retenir en peu de jours, en cette si grande cour. La douceur qui résonne dans sa voix, le timbre enfantin d'une gamine qui n'est pas encore prête à sauter dans le grand bain.  
La terreur qui se dessine au timbre de sa voix, au frétillement de ses mains lorsqu'il les prend pour y déposer un délicat baiser. Mais le frisson n'est pas - cette fois - lié aux bourrasques qui parfois font valser vos cheveux qui s'entremêlent dans le vent. ▬ Y êtes-vous depuis longtemps ?
Pauvre petite perle, inconsciente devant l'appel soudain du vent.

Il est beau, l'homme a la voix suave.
Il est beau, l'apollon qui la soulage.

Quelque chose en elle se rassure, à l'entente de cette voix, se transforme, et sa peur qui se mue en une crainte à peine palpable, à peine décelable. Ses grands yeux que se perdent en elle, la fixent, ses prunelles dans lesquels Satine s'émerveille. Il est beau, l'homme brun du bal des souvenirs. L'homme du passé flouté par la peur, terrifiée.
Tu sais l'avoir déjà vu, car alors, ton regard tout naturellement se tournait déjà vers lui. Vers la splendeur de sa posture, de sa carrure, qui - bien qu'effacée par rapport au souverain, inspire plus encore de dignité que celle du roi lui-même. Déjà alors, son regard n'avait d'yeux que pour lui, et son coeur se tournait vers les méandres de l'oubli. Il le fallait. Car Satine n'était pas femme à décider de sa destinée. Petit jouet soumis aux mains perverses du destin, de la fatalité, alors qu'en son cœur demeurent des sentiments tout autres, contraires, de ceux qui valent de braver les interdits.
Non, elle ne l'aime pas. Pas encore. Nul amour ne vient titiller, caresser la tendresse de son âme. Mais un désir inaliénable, indéniable, qui fait frissonner sa peau à son simple contact. Alors, elle le fait taire. Elle est promise à un autre - non une promesse qui sonne comme un sermon, mais comme le glas de son avenir. Les cloches fendent l'air, désolent l'atmosphère. Les cloches de l'enterrement de sa liberté.
Quelle vie, pour une maîtresse royale ?
Quelle destinée, pour une pute déloyale ?

Et le couperet qui tombe, glacial. L'identité avouée, la promesse de jours sombres, des semaines à venir embrumées dans le désir de l'inachevé. Le prince de sa Majesté, le prince Leandry Thoron qui désormais lui fait face, et pour qui s'est déclenché cet espoir d'avenir. Non, ce ne se peut. Le destin ne peut ainsi se jouer des faiblesses d'un si petit être, il ne peut se montrer si cruel. Et encore, douce petite perle, tu ne sais rien...
Satine, elle panique. Elle ne s'est pas agenouillée devant un prince royal, n'a pas respecté les règles les plus élémentaires de la courtoisie à la cour. D'un bond, naïf, innocent, elle se jette au sol, prend sa main qu'elle baise innocemment. ▬ Veillez pardonner ma méconnaissance, j'ignore encore tout de ce monde. La voix, chaloupée, tendre, emplie de naïveté. Qui donc pourrait en vouloir à une si jolie poupée ?
▬ En effet, là est mon nom, votre majesté. Son nom qui résonne dans la voix du prince, ce nom qu'il prononce alors qu'elle n'en est même pas digne. Tout cela est trop grand pour elle. C'est le ciel dans sa superbe supériorité qui s'ouvre face à elle, et ses premiers pas maladroits, terrifiés, dans un univers qui bientôt la mangera toute entière. ▬ Je crains de n'être pas faite pour toute cette souveraineté. La crainte qui s'ouvre, naturellement, déjà la petite perle a oublié à qui elle s'adressait. Mais cette chose, en ses prunelles, cette chose qui l'incite à se confier, à avouer tout ce qui, secrètement, naît et grandit dans le secret de son âme.
Comme s'il était digne de sa flamme.

Ne pas reconnaître le prince... Elle a tôt fait de s'humilier, la petite perle.
A peine fait-elle son entrée qu'on peut déjà relever des impairs. Elle en pleurerait, Satine, de rage, de colère, de peur surtout, de cette crainte qui triture son ventre, prend ses intestins, les frictionne, la torture qu'elle ressent à l'intérieur, dans son petit ventre vide, tant elle n'a pas mangé depuis une décennie. Tant l'appétit lui manque, désormais, tant la peur a remplacé tout le reste au fond de son être.

Le prince s'agenouille. Satine écarquille ses grands et jolis yeux, stupéfaite de cette décision, craintive qu'on les remarque, ainsi, en si curieuse position. Le prince agenouillé devant elle, une main sur son menton, les prunelles perdues en les siennes. Un instant, elle hésite.
Et puis, elle choisit, la petite perle. Elle accepte de se perdre en ce regard aux reflets bleutés, ce regard qui dit le ciel, la beauté, la simplicité d'un jour d'automne, quand l'été à peine dit au revoir et que les arbres commencent à se colorer de teintes de brun.
Elle accepte d'oublier tout le reste, toutes les nécessités, pour ne garder que l'inessentiel : ce regard, cette beauté, sensuelle.
Puis il se relève. Et l'instant, l'instant d'ailleurs, hors du temps, s'enfuit comme l'été et ses chaleurs arides. Retour au réel. Au terrible, cruel réel. Excitant, un peu, aussi, dans un coin retranché de son cœur abîmé.

▬ Ma famille, d'autant que je m'en souvienne, a toujours été Thoron. Nous venons d'une bourgade de Ceollyn. Le calme de la vieille ville, à mille lieux des affres de la capitale. Satine laisse tout derrière elle, tout le confort de sa vie quotidienne, connue et reconnue, comme un refrain inlassablement fredonné dans le confort des champs de blé. Nulle richesse en ce cœur abîmé, mais la naïveté simple d'une enfance bien éloignée de la richesse et du pouvoir, là, dans les confins de la tranquillité. Si on le lui avait dit, si on lui avait évoqué qu'un jour, elle se baladerait dans les parcs du château royal, elle aurait ri, ri comme une enfant, la petite perle, dans un gloussement inarrêtable, à s'en rouler par terre, entre les épis de blé.
▬ Je ne sais si j'ose... La requête qui se perd et refuse de franchir la barrière de ses lèvres, retenue par la crainte qui l'interdit de le dire à voix haute. Alors, la petite perle, elle trouve une solution. Si sa voix refuse de parler, il faudra le chuchoter. Ce murmure qui franchit le silence. ▬ Accepteriez-vous de me faire visiter les lieux ? Il s'agit d'un si grand univers, loin des petites mansardes de ma vieille ville. En vérité, l'on pourrait croire que je suis venue humer l'odeur des jolies fleurs, mais il n'en est rien. Je me suis perdue...

Ce sourire simple et naïf qui se fige sur ton visage.
Si tu savais, ma petite perle, comme tu peux charmer sans même le souhaiter.
Comme ta simplicité peut étonner, ravir, enchanter.

Le dépaysement le plus total. L'impression de vacances prolongées, alors que c'est toute sa destinée qui désormais l'attend, nue, lascive, allongée sur ce lit de fer dans lequel elle sera condamnée.
Elle ignore, encore, à quel point elle va se faire aux enjeux de la cour, à quel point sa langue va se révéler désastreuse, à quel point l'ambition va dévorer son cœur, garce ravageuse.  
Pour l'instant, elle demeure enfermée dans cette naïveté insoutenable, cette beauté tolérable, de celle qu'elle ne réalise même pas posséder, tant elle ne s'imagine pas charmer Leandry en un battement de cils.
Naïve petite enfant, belle perle inconsciente du charme qui est le sien, de la douceur qu'elle détient.
Comment peut-on être mauvaise, lorsqu'on ne connaît nulle tentation, lorsque la vie s'acharne à vous donner jour après jour des constances du quotidien, et ne vous impose pas de vous fondre dans un décor aussi malsain ?

Il se veut rassurant, le prince charmant.
Il déverse en son cœur une voix mélodieuse qui apaise instantanément les affres qui la tourmentent, à l'instar du chant des oiseaux un matin de printemps. Elle veut le croire, la petite perle, n'y parvient pas totalement, mais au moins se permet-elle de se perde en cet instant. Chaleureux. Doucereux. Quelque chose qui ne la perturbe pas, malgré la présence de l'ancien souverain lui-même. Fut un temps où elle se serait évanouie pour moins que ça. Elle sourit en pensant à ce mystère, à cette petite perle fragile qu'elle a pu être. Déjà, sa crainte se tarit. Déjà, elle se sent prête à charmer autour d'elle, à ravir les langues de vipère qui parlent déjà de sa venue.
Ne pas se laisser marcher sur les pieds. Ne pas laisser les autres déverser leur bile en votre avenir.

Il accepte sa proposition. Et ce sourire qu'elle lui donne fait valser l'automne. Elle est d'une beauté ravageuse, la petite perle. Encore faut-il qu'elle en prenne conscience. Et ce murmure ▬ Merci. qui fend l'air de sa voix enjôleuse. Tu ferais sombrer les dieux.
Il lui tend une rose qu'il a soigneusement préparé avant de la placer entre ses mains de jeune fille. Elle sourit à nouveau, totalement aux prises avec cet homme qui l'étonne. Prend-elle conscience qu'un souverain lui-même lui tend une fleur pour qu'elle se souvienne ? Non. Certainement pas. Elle l'accepte, avec toute l'ingénuité qui est la sienne. La candeur au bout des doigts.
▬ Elle est magnifique. Je la garderai, comme un souvenir précieux de mes premiers jours ici, et de la première personne que j'ai eu l'honneur d'y rencontrer. Qu'elle glisse en l'admirant de ses yeux clairs, pétillant désormais du bonheur simple et du ravissement de son cœur. ▬ Le roi est-il aussi charmant que vous l'êtes ? Vous ressemble-t-il ? La visite prend une toute autre tournure. Désormais, c'est le roi lui-même, dont elle veut apprendre des nouvelles. Son frère est-il le mieux placé ? Certes, non. Mais elle se prend à rêver, la petite perle, à rêver que le roi est à la hauteur de cet ange qui lui fait face.

Maintenant que la petite perle sait de qui il s'agit, elle demeure un peu plus prudente. Bien que le charme du moment entre en contradiction avec ses doutes et ses craintes. Elle a eu vent du frère du souverain. Elle connaît son nom, à défaut de mettre un visage sur les contes que lui martelaient son frère autrefois. Elle sait, par exemple, qu'il a régenté le royaume, avant de laisser la place à son jeune frère. Elle sait, également, qu'il est connu pour rendre les hommages à bien des femmes en un temps égal. Elle aimerait être plus prudente, la jeune perle, garder davantage ses distances avec le charme dévastateur de cet imprudent. Toutefois, elle ne peut s'empêcher de saisir la rose, sourire charmé au coin des lèvres, rougissement qui fait pétiller ses joues enfantines à la lueur des derniers rayons d'Elrawyn.

Le roi, désormais. Le frère qui se lance dans sa description, avec douceur, avec tendresse. Elle sent, la petite perle, qu'il ne dit pas tout. Ment-il ? Sans doute. Elle espère néanmoins que ces mots sont véritables.
Qu'elle trouvera en lui une couche aimable.
L'espoir. Voilà tout ce qu'il te reste, quand tu regardes le miroir.
▬ S'il vous ressemble, alors je n'aurais pas à me plaindre. Mais cette naïveté dans l'intonation de sa voix. Est-il possible qu'elle ne se rende vraiment pas compte du charme qu'elle dégage ?  
Les pas du couple se font entendre et poursuivent leur chemin à travers la roseraie. L'odeur titille les narines de la petite perle, et elle ancre en le moment en ses doux souvenirs. Son arrivée au château n'aurait pu être plus calme, plus campagnarde. Plus semblable à sa vie à Ceollyn. Elle espère secrètement que cela se poursuive ainsi, bien consciente néanmoins de son erreur. Elle entend déjà enfler la rumeur.

Et il la ramène dans le souvenir de ce bal où, manigance de son oncle et de son père, elle avait été traînée comme une jolie fleur bonne à prendre. Elle ignorait alors pourquoi l'avoir ainsi apprêtée, elle s'était imaginée une sortie extraordinaire, un moment hors du temps, à ancrer dans le creux de ses souvenirs. Elle ne savait pas qu'il s'agissait là d'un coup monté. Et qu'à la suite de cette soirée, elle devrait tapiner dans le lit du souverain lui-même.
Une fois que l'on a été choisie, comment se plaindre de cet honneur ?
Comment oser critiquer la décision souveraine, pour laquelle bien des femmes mourraient sans hésiter ? On ne le peut.
Et elle ravale sa rancune, la petite perle.
▬ Tout à fait. C'était lors de cette soirée qu'il m'a remarqué. J'ignore bien encore ce qu'il a pu me trouver, mais j'ai eu cet insigne honneur. Et la petite perle qui, là encore, cache son amertume derrière la gloire de sa position. Pitoyable prestation. Mensonge amer. ▬ Je ne sais trop comment faire. Y-a-t-il beaucoup d'autres maîtresses royales ? La crainte d'une rivale qui pointe le bout de son nez.
Elle ignore encore que la reine sera la pire.

Satine avait déjà vu le souverain lors de ce bal. Il lui avait paru séduisant, certes, mais en son fort intérieur, elle se devait d'admettre qu'il ne gagnait pas la concurrence avec son jeune frère. Ravale ces pensées, petite perle, tu aurais beaucoup à y perdre, rien à y gagner.
Et voilà qu'elle se perd, la belle Satine, qu'elle rougit lorsque Leandry Thoron lui dit qu'elle est sublime. A-t-elle remarqué qu'il s'avère charmeur, le doux frère ? A-t-elle vu que son regard se perd en le sien, la détaille, chaque courbe de son corps ? Croit-elle vraiment qu'il est insensible ? Peut-on être si naïve ?
Satine vous dirait que oui. Satine ne remarque rien, rien d'autre que la beauté des fleurs en ce jardin et que le charme ravageur que Leandry exerce sur elle. Rien d'autre que la crainte qui tapisse son cœur et l'amertume de ce voyage sans retour. Voilà tout ce qui fait vibrer son âme désarçonné.
Son âme de gamine, son âme enfantine.

Elle rougit, donc, la petite perle, mais la reprise de parole chez Leandry ne lui permet pas le moindre mot. Elle ne peut répondre, la douce enfant, considérant de toute façon que son rougissement se suffit à lui-même.
Il répond à sa question, la rassure. Elle est unique, Satine. L'unique femme a être ainsi propulsée au sein même du château du souverain. L'unique maîtresse a avoir joui de cette propriété. Et à cet instant précis, l'âme ambitieuse de Satine se réveille : il lui faut conserver le prestige de cette position. Pour elle, mais aussi pour son père, pour son oncle, pour le bien-être de sa famille déshéritée. Conserver ce prestige, par toutes les positions...

L'évocation de la reine lui fait froid dans le dos. Instantanément, ses yeux se ferment un instant, ses poils se hérissent en sa peau douce et satinée. ▬ Croyez-vous qu'elle pourrait me vouloir du mal ? Mais qu'as-tu fait pour mériter ça, ma petite perle ? Tu n'as jamais rien souhaité de ce qu'il t'arrive, et voilà que déjà, cela attise les jalousies.
Son regard terrifié, comme s'il venait de lui conter une histoire de vampires cachés sous son lit, comme si son frère s'amusait à lui inventer des histoires de cimetières mal clôturés. ▬ Ce château demeurera le sien, pourtant, comment peut-elle se sentir ombragée par l'arrivée d'une maîtresse ? Je n'aspire à rien d'autre. Sa voix, douce, comme si elle s'en excuse auprès de Leandry. Cette voix qui tremble, de peur, mêlée d'un peu de terreur.
▬ Le souverain est-il un bon mari pour elle ? Les questions qui fusent en son esprit, ces questions qu'elle s'interdit parfois de poser, par crainte d'en avoir la réponse. Mieux vaut se taire, et ne pas savoir, la petite perle va vite l'apprendre au sein des mystères de la cour.
Mais n'y aurait-il pas là déjà un besoin de possession ?
Une volonté, peut-être, d'avoir une toute autre position ?

Il sourit, le prince ancien souverain.
Il sourit de toutes ses dents, de ce sourire qui ferait trembler les étoiles.
Et elle, la petite perle, elle a la chance de plonger ses prunelles en les siennes, dans l'éternité de cet instant gravé dans le marbre de l'avenir. Car elle ne le sait pas encore, la douce Satine, elle ignore ce qui l'attend, mais le soleil et ses rayons le savent bien et se jouent de sa naïveté.
Ils réchauffent son cœur de leurs dards enflammés, comme la passion, plus tard, se jouera de son cœur enamouré. La force du temps qui passe. La passion des jours heureux. La flamme des amoureux.
Il tente de la rassurer, l'ancien souverain. Il glisse son bras sur le sien. Peut-elle ignorer les frissons qui parcourent son corps à son contact ? Pourra-t-elle un jour oublier les méandres de son cœur qui brûle à plonger, noyer ses prunelles en les siennes, en celles de l'éternel ?
L'oubli est un cruel trône, mais il faudra s'y asseoir, petite perle.
Il faudra oublier, oublier ces battements de son palpitant qui se succèdent, trop rapidement, comme emprunts du rythme du piaillement des oiseaux qui admirent - secrètement - la chaleur de leurs nouveaux émois.
Je ne serai jamais loin. Vous savez que vous pouvez compter sur moi.
La force de l'assurance, la douceur de la confiance qu'elle voue à cet inconnu dans lequel elle sent qu'elle peut lire l'absolue certitude d'une présence rassurante. N'y-a-t-il meilleure rencontre pour une femme éperdue dans un monde soudainement devenu trop grand ? Leandry s'impose d'emblée comme l'allié éternel, comme l'être vers lequel toujours elle pourra se tourner. Et cette absolue lumière, elle est certaine de ne pas la faire tomber dans le néant de l'oubli. Car cette lumière serait capable d'illuminer l'enfer.
▬ Je garde cette promesse dans un coin de mon cœur, votre majesté, et ne l'oublierai pas. Sa main qui se pose sur celle du prince encore sur son bras, cette main qui vient se poser sur la sienne, et la douceur de ce mouvement, de ce contact, comme un papillon qui se pose sur une fleur pour la butiner. ▬ Je me tournerai vers vous. Toujours. Ne m'oubliez pas, sir Leandry. N'oubliez pas cette promesse de laquelle vous avez abreuvé mon âme assoiffée. Son âme terrifiée d'enfant gâtée.
La crainte de la reine est loin désormais. Elle s'est envolée dans les limbes de l'oubli. Seule demeure la présence du prince, ce réconfort qu'il apporte en toutes les fibres de son âme. Des pas brusquement retirent sa main de celle de l'ancien souverain. Comme si leur lien devait demeurer caché, comme si ce geste pouvait être mal interprété. Voyons, petite perle, te lances-tu déjà dans les méandres du secret ? Dans les pétillements du mystère ?
Un inconnu, âme malvenue, vient les troubler et salue le prince respectueusement comme Satine aurait du le faire quelques instants auparavant. La petite perle répond un geste de la tête, salutations douces et chaleureuses. Tant d'inconnu désormais en ce monde. Tant de nouveautés à ingurgiter de sa bouche assoiffée.
Distance respectueuse avec Leandry, désormais. Seule demeure ce lien, ce contact de vos prunelles, plus discret, mieux caché. ▬ Accepteriez-vous de me mener à mes appartements ? A-t-elle peur d'encore se perdre, la petite perle ? Ou n'est-ce là qu'un subterfuge pour prolonger cet instant dans le doux confort de ses prunelles ?