La table royale. Les soupers dignement installés sur l'immense table qui servait de meuble à manger, les serviteurs par ci, par là, utiles à débarrasser les assiettes vides et à éponger les ardeurs nourricières de ces nobles accomplies. Oh combien Satine avait trouvé ces repas gargantuesques indécents, autrefois. Oh combien elle y prend plaisir, maintenant.
Car il s'agit de cela, d'une petite perle qui s'est bien vite habituée aux fastes de la cour, aux richesses teintées de diamants et de joyaux étincelants.
S'il y a bien une chose, néanmoins, qui l'ennuie au plus haut point, ce sont les discussions des dignitaires, les regards autoritaires d'une souveraine broyée de sa jalousie, enflammée de voir face à elle la honte de sa lignée. Car il s'agit aussi de cela, d'une catin qui siège aux côtés du roi.
Satine se remémore. Elle se rappelle sa première rencontre automnale avec le frère du souverain, Leandry, elle se souvient de ses premiers instincts, de ces moments de douceur tendre, de convivialité délectable, qui a vite mué en une séduction détestable. Du point de vue moral. Car elle doit l'admettre, la petite perle, elle ne trouve pas cela du tout odieux. Cela l'attire, comme un moustique par la lumière d'une bougie vacillante, elle est fascinée par cette aura et naturellement suit ses pas.
Non. Il ne le faut pas. Ne pas plonger ses yeux en ses prunelles éternelles. Surtout pas. Demeurer stoïque, lui avouer, d'une voix ferme, cachant le tremblotement de ses doigts sous la tunique qui sublime ses courbes généreuses, qu'il est temps de finir, que plus jamais ils ne se reverraient, que plus jamais ils ne devraient.  ▬ Laisse-moi, Leandry. Il faut cesser cela, tu sais très bien que le roi ne l'accepterait pas. Et le tutoiement qui peu à peu est devenu plus naturel, ce tutoiement qu'ils ne s'autorisent que dans le giron de leur couple interdit.
Laisse-là, Leandry. Laisse-là, et, avec elle, tes désirs, tes envies, cette pulsion qui s'agite en ton sein. L'amusement joueur et pervers du destin. Laisse derrière-toi ce que tu as déjà laissé en quittant le trône, les clés de ta propre destinée. Assume tes errements, et ne prends pas à ton frère plus que ce que tu lui as donné. M'écoutes-tu ?
La petite perle, elle tente d'écouter cette voix de la conscience qui hurle en son esprit. Elle refuse les rencontres avec le frère du souverain, se cache, rase les murs pour n'avoir pas à faire le plus dur - devoir le repousser, alors même que tout son corps hurle de l'enserrer. Et ne pas admirer ses prunelles qui, elle le sait la petite perle, sans cesse se posent sur elle.
C'est de cela qu'il s'agit, pendant le repas. Regarder la table pour ne pas se perdre en une vision envoûtante. Pour ne pas perdre avec elle son esprit, sa raison et sa tête. Résiste, petite perle. Sois sage. Et forte. Ne te fissure pas en son regard. Ne te perds pas en ce rare amour.

Le repas s'achève. Elle s'éclipse, la petite perle, elle disparaît, tente de raser les murs pour ne pas se confronter à lui. Elle a senti le poids de son regard enamouré tout le repas, à bien vu sans oser lever les yeux qu'il n'avait d'âme que pour elle. Et, perdue dans ce monde trop grand, Satine s'est retrouvée avec trois paires d'yeux sur elle. Ceux, agités et flamboyants de la reine ; ceux, hagards et désireux du roi ; ceux, amoureux et rares de Leandry. Et que faire, lorsqu'on n'en désire qu'un, celui précisément que l'on ne peut voir ?
Est-il pour toi possible de faire choir tes espoirs, taire ces mystères ?
Un long moment elle l'a cru. S'en est convaincue. Et sa voix qui résonne dans le couloir. Satine. Elle tremble, elle frissonne. Elle voudrait disparaître, se retourner, l'enlacer, l'embrasser, disparaître. Sa main qui se sert contre la sienne, les doigts qui s'entremêlent, tu ne peux être assez forte pour rompre ce contact que tu as si longuement et secrètement espéré.
Non. Chut. Tais-toi. Il le faut.
La petite perle rompt le contact, comme prise d'un électrochoc. Comme surprise par les yeux du roi lui-même, de la reine, de toute la cour souveraine. Elle ne se retourne pas, incapable de plonger ses yeux en ses prunelles. Incapable de le regarder et de lui dire ce qu'elle a à dire, avec certitude, feignant la voix basse et assurée. ▬ Je ne le peux, tu le sais bien.
Ce soupir qui résonne, rebondit dans les murs du couloir, ce soupir est-il désillusion ou désir ? ▬ Leandry. Arrête.

Oh combien il est difficile de refréner les sentiments qui bouleversent son petit cœur d'enfant. Oh combien elle soupire, le soir, avant de dormir, à la pensée de cet homme qu'elle a rencontré en premier en foulant de ses pas ces terres inconnues. Depuis lors, ils n'ont cessé de se rencontrer, poussés par les vents du hasard, d'abord, puis par ceux, tumultueux, du destin. Il aurait été aisé de ne plus le croiser, si les dieux ne s'en étaient pas mêlés.
Et puis, peu à peu, les sentiments avaient commencé à naître dans le cœur étourdi de la jeune favorite. Des sentiments couverts de honte qu'elle aurait aimé cacher par peur et crainte de ce que ferait le roi. Ce même souverain qui, à mesure que les semaines passaient, éprouvaient de plus en plus cette maladive possessivité à l'encontre de sa favorite. Et cela allait de pair avec les sentiments grandissants.
Fatale ironie du destin, amusement lointain de dieux olympiens.

Elle soupire, la petite perle. Elle soupire lorsque la main de Leandry caresse ses doigts, s'entremêlent en eux, elle soupire lorsqu'elle est obligée de le priver de ce contact divin. Il parle de "chance", il parle de "foi". Mais ne sait-il pas, lui, que ses risques sont moins grands ? Que Satine n'a pas derrière elle le bagage d'un frère royal, la famille d'un souverain, le soutien d'un peuple aimant et respectueux.
▬ Cela importe peu, ce dont il s'agit, Leandry. C'est ma vie qui est en jeu, non la tienne. Et ce tutoiement qui s'est peu à peu installé entre eux, témoin cruel de sentiments macérant entre leurs cœurs épuisés.
Elle se tourne vers lui, et cette terreur qui pétille dans ses prunelles se fixe sur lui. Elle a peur, la petite perle. Peur depuis qu'elle est arrivée, peur encore, malgré les nuits agitées passées dans le lit du roi. Car si elle commence à se faire aux hypocrisies ambiantes, aux bals luxuriants, elle ne se fait pas aux sentiments qui pourfendent son âme et mettent à mal sa raison.
Elle perd son regard dans le sien, et en oublie ses bonnes résolutions.
Car il s'agit de cela, désormais. Il s'agit de vies à maintenir à flot, du poids altéré des secrets dans lesquels, bientôt, ils vont se vautrer. ▬ Le roi a été très clair. Si je touche un autre homme, je mourrai. Et la gravité de la situation qui résonne dans la tonalité grave de sa voix, qui flamboie dans la pureté de ses prunelles claires et éternelles. ▬ Les sentiments ne peuvent justifier de mourir. Et elle avoue, la petite perle, elle avoue à bas mots que les sentiments prolifèrent de son côté aussi. Que leur cœur battent désormais à l'unisson. Que l'atmosphère s'empare de l'alchimie qui sépare ses deux corps solitaires.  

Pourra-t-elle un jour être régie par d'autres lois que celles de ses phobies, la petite perle ? Pourra-t-elle dignement reprendre le contrôle de son destin, ne serait-ce qu'une seule fois ? Parfois, elle se prend à songer à ce qu'aurait été sa vie, si elle avait refusé cet insigne honneur que d'être favorite royale. Parfois, elle se rend compte qu'elle aurait sans doute davantage brillé dans l'ombre que dans cette lumière hypocrite aux contours amers. Mais, depuis peu, viennent se superposer à cette idylle les doux contours de Leandry. Et sa certitude s'amoindrit. Elle ne l'aurait jamais rencontré ; et cela seul justifie une vie entière d'obscurité.
Comment pouvoir ne pas se noyer dans ses regards enamourés qu'il glisse sur elle et qui la transportent dans l'irréel ? Elle cherche encore, la petite perle, elle cherche encore la solution à ces mystères dans lesquels Leandry l'engouffre aussi doucement que sûrement. Il la dévore, la poupée, de ses yeux d'or, de ses doigts frissonnants qu'il pose sur sa peau diaphane de gamine envoûtée. Elle craque, elle cède, la petite perle, et tout ce qu'elle peut encore faire est feindre la résistance, alors que ces murailles sombrent les unes après les autres, peu à peu, quand son cœur s'effrite à son approche. La croira-t-il ? Croira-t-il la force de sa conviction feinte lorsqu'elle lui dira non ?

Il lui fait des promesses, le prince, il lui assure la vie sauve, sans pour autant lire l'avenir. Sans pouvoir prédire de quoi leurs jours à venir seront faits. Il devient voyant, et il devine en les prunelles de Satine que son amour vaincra le risque, ira jusqu'à se confronter à la mort elle même, aux traits vengeurs et sévères de la reine Kendassa. Tu ne mourras pas. Et la perle qui se ranime, lorsqu'elle brûle de crier Qu'en sais-tu, jeune aveugle. Qu'en sais-tu, quand pour toi, l'avenir est lumineux et flamboyant ; alors qu'il n'est que néant à mesure que l'âge s'emparera de mon corps désirable. Car elle se bat contre cela aussi, la petite perle, en plus du reste, contre les ravages de l'âge sur une femme objet, femme lubrique, la lascivité au creux des reins. Elle n'est que cela, et bientôt, ne sera plus rien.

Tu brilles avec moi, Satine. Chaque jour davantage. Les frissons qui s'emparent de son corps, les gestes de Leandry qui l'empêchent de fuir, de s'enfuir de ce regard dont il l'envoûte sans cesse. Mais elle résiste, la petite perle, elle ne succombe pas à l'amour qu'elle devine en lui, qu'elle pourrait dessiner dans les airs tant il éclate de ces sentiments qui le brûlent. ▬ Tu me fais des promesses que tu ne peux tenir. Se réfugier dans la certitude de son mensonge, ne pas répondre à la deuxième partie de sa prise de parole oh combien réfléchie, de celle qui brûle de sa justesse. Car elle le sait qu'il a raison, la petite perle, elle se voit luminescente lorsqu'elle pense à lui, elle devine le sourire qui étire ses lippes lorsque, le soir, elle se plonge dans ses souvenirs, dans les moments passés en sa douce compagnie.
Se taire. Attendre. Mais elle ne sort pas de son étreinte.
▬ La vie que je souhaite mener n'a que peu d'importance, et ce depuis bien longtemps. Un soupir. Et ses yeux terrifiants de sentiments sombres qui se dressent sur Leandry.
Sauve-moi. Sauve-moi de ces méandres dans lesquels je me perds.

Il semble avoir tant d'assurance dans le regard, le prince. Il paraît si assuré de la promesse d'avenir qu'il lui fait. Et pourtant, elle en a eu vent, la petite perle, des rumeurs de conquêtes multiples du prince, de ces frasques peu élégantes, de ces femmes qu'il a séduites, pour mieux les jeter dans l'arène des répudiés.
Qui dit au monde qu'elle sera différente, Satine ? Qui dit au monde qu'il ne la jettera pas, elle aussi, dès lors que l'excitation de l'interdit sera passée ? Qui dit au monde qu'il ne la dénoncera pas, même, provoquant de ce fait la rage du souverain, et sa tête poupette au bout d'une pique.
Tant de risques, tant d'inconnues. Tant de questions demeurées sans réponse, qui voguent au gré du vent, dans l'obscurité ambiante.
Il se rapproche. Ce pas qu'il fait pour coller sa poitrine à la sienne, svelte et féminine. Ce pas qu'elle aurait mille fois aimé refuser dans la plus vraie des sincérités, mais qu'elle ne peut altérer tant il brille de sa pureté. Car ce pas n'est pas anodin : il est le franchissement d'une limite, qu'ils n'ont alors jamais franchi, il est l'aveu d'une faiblesse, des sentiments qui pointent désormais en toutes les fibres de son âme, de son corps, de son être qu'il dévoile à Satine, à cette petite perle dont les yeux flamboient d'envies, de désirs et de terreurs.
Je veux que tu m'inondes de ta lumière. Sa voix comme un murmure, les frissons qui parcourent sa peau diaphane, ceux qu'elle ne peut cacher mais contre lesquels elle aimerait tant lutter. Sans succès. Elle se sait déjà vouée à l'échec.

Et le pire advint. Le pire ou le meilleur, selon la situation que l'on choisit, le prisme étincelant sous lequel on dissèque la situation. Car si ce couloir demeure pour l'instant désert, il reste un lieu de passage, un lieu loin de toute la discrétion qu'impose normalement leur condition.
Le pire. Les prémices sensuelles et lascives d'un destin secret, celui qui inonde dans l'ombre les dangers et les mystères, les craintes et les recoins sombres, la fuite face aux regards inconnus, face à l'approbation plébéienne, face à celle, souveraine. La certitude de jours noirs, sans nul espoir. Sans nulle chance de pouvoir un jour profiter sereinement d'un avenir amoureux, dans le calme foyer et les piaillements d'enfants. L'hymen à jamais impossible. Leur liaison, à jamais proscrite.
Le meilleur. L'acceptation d'un amour sincère et véritable, l'avenir à deux, l'avenir amoureux, dans l'excitation du secret et de l'interdit. Les sentiments, les émotions qui, comme une tornade, bouleversent son cœur enchanté, envoûté, elle ne peut décidément pas les nier, la petite perle, les prendre et les jeter, alors même qu'ils font pour la première fois vibrer ce cœur d'enfant pourrie trop jeune.
▬ Leandry. Les bouches séparées, et cette sensation du froid glacial, amer et mortifère qui s'empare de ses lèvres. ▬ Puis-je croire à cet amour dont tu m'honores ? Ne suis-je pas une parmi les autres ?
Elle se saisit de son bras, la petite perle. Elle pose son doigt sur sa veine, écoute, ressens le battement de son coeur. Peut-il mentir, son palpitant ? Peut-il cacher, feindre, travestir, dans cette étrange cour des miracles ?
▬ Leandry. Je risque plus que toi. Je risque ma vie. Il faut que tu en aies la pleine conscience, et que tu la gardes toujours dans ton cœur. Il ne s'agit pas d'un jeu. Non, je ne joue pas. Et toi, petit être, ne joue pas avec moi.

Il est rassurant, encore, toujours, le prince. Il a le regard pétillant d'un homme foncièrement enamouré, et même si les craintes de Satine semblent justifiées, elle ne peut s'empêcher de le croire sur parole. Il y a cette voix au fond d'elle qui corrobore les propos de Leandry, qui lui donnent raison, comme si la conscience de la demoiselle suffisait à lui faire réaliser que les propos du prince sont véritables. Qu'elle n'est pas une parmi les autres, mais qu'elle est une au dessus des autres. De cet amour flamboyant que l'on ne trouve nul part ailleurs, de cette pulsion vitale qui ne se trouve qu'une fois en une vie. Les autres n'étaient que des corps, la petite perle, elle est une âme. Semblable à nulle autre, lit-elle dans son regard.  

Il est homme de raison et de mesure. Il semble comprendre les dangers et les aléas dans lesquels ils se projettent, en signant l'accord de ce baiser volé au détour d'un couloir. Et il a raison aussi, lorsqu'il évoque leur impossibilité de demeurer ici, alors que des bruits de pas dangereux ont retenti. Une sonorité oh combien désagréable qui, d'un coup, d'un seul, a fait reculer le prince soudainement, et a brisé les papillotements de leur entrevue passionnée. Les petites lucioles de leur union qui filent, effrayées par l'arrivée d'un insecte prédateur.
Ne restons pas ici. L'accord qui résonne discrètement dans le confort de leur duo impromptu. La mesure leur interdit de demeurer ici, sans prendre la pleine mesure du danger qui attend leur destin inavoué. Et le choix qui résonne dans les couloirs vides et sombres. Un choix crucial, qui fait palpiter le coeur de la jolie petite perle, qui la force à faire son choix, le final, le définitif, celui qui les entraînera ou bien dans le bonheur d'une union clandestine, ou dans le déshonneur d'un rejet vicié, du refus désavoué du flamboiement de ses sentiments.
L'instant fatidique qui approche, la petite perle qui respire comme pour apaiser son cœur enflammé, qui tente de trouver la force de choisir, de trancher. Elle a les dés en main, il n'y a plus qu'à les lancer. Elle prend une grande inspiration.
▬ Tu as raison. Allons-y. Je prends acte de tes réponses, et je choisis d'y croire. Enfin, devrais-je dire que mon cœur me l'impose. Alea jacta est. Que les dés du destin vous soient favorables.

Car l'oubli lui est impossible.
A jamais restera gravé le baiser voler aux côtés d'Elrawyn.

La route lui semble une éternité jusque dans la chambre du prince qui se trouve en plus non loin de celle de Römhen. Son cœur se sert à l'approche de cette pièce interdite de luxure et de passions. Son âme se rassérène en franchissant le seuil de celle du prince. Néanmoins, l'interdit lui prend aux tripes. Quel étrange tourbillonnement de sentiments qui empreignent l'esprit de la petite perle, qui tourbillonne elle aussi au rythme de ces émois. ▬ Tu as une place gigantesque dans mes souvenirs, toi aussi. Je m'étonne chaque jour de l'importance que tu as pris en si peu de temps. L'aveu, les déclarations, désormais possibles, dans le confort de l'avenir.

Cette chambre est des plus gigantesques. Elle pue la noblesse dispendieuse, qui sent si bon pour les narines chatouillées de Satine, qui s'est tôt faite aux fastes de la cour royale et aux joyaux de la couronne thoron. Certes, elle ne peut directement les toucher, tant ils se cachent sur la tête serpentée de la reine, mais du moins elle a l'honneur de les admirer chaque jour, plus resplendissants que la veille. Et cette chambre, en plus d'être un cocon de calme pour leur union secrète, est un bel exemple de ce qu'a à offrir sa position royale.
Se laisse-t-elle avoir par l’appât de l'or, la belle Satine ? Il le faut croire. Toutefois, elle y pense guère lorsqu'elle se pavane aux côtés de Leandry, tant la sincérité de leur amour flamboie de sa puissance. Il est ce qu'il lui reste, sans doute, de la Satine d'avant, petite perle enfantine qui n'a rien de la rapace aigrie qu'elle est devenue dans la chambre du roi. Aigrie, mais lascive, certes. Plus du tout le regard de l'enfant perdu et naïf d'autrefois, qu'elle retrouve quand elle plonge ses prunelles dans celles de son bientôt futur amant.
Là est déjà le bon dans ce que lui impose son cœur. Là est le bon, la certitude de ne point se perdre complètement dans le labyrinthe doré du château Calendyen. Leandry est son gage de bonne conduite, le guide qui saura la garder protégée des méandres et des limbes obscures dans lesquels elle se perd, la petite perle. Il saura la protéger, elle en est sûre, désormais.

▬ Montre-les moi, ces bons côtés. La certitude brille dans son regard. La certitude aussi dorée de ses désirs pavanés. Car des désirs, elle en a, qui brille dans son regard éperdu. Elle en a, un certain nombre, maintenant qu'ils se sont faufilés dans une chambre close à double tour, dans laquelle ils peuvent laisser voguer les affres de leur passion. D'autant qu'il la caresse, le prince, lui offre ses frissons de pulsion qui détonnent dans le calme de leur amour.
Elle dépose un délicat baiser sur ses lèvres, si délicat qu'il en finit passionné. ▬ Il nous faut surtout édifier dans cette chambre les gages d'une union future. Ce regard lascif qu'elle lui voue, alors que la passion s'agrandit lorsqu'elle songe au roi, dormant sans doute juste à côté. Que l'interdit peut faire vaciller ce cœur enfantin, alors que les pulsions brûlent dans le creux de ses reins.

Reste encore. L'électrochoc qu'elle ressent à ces mots que jusqu'alors elle n'avait jamais entendus, la petite perle. Reste encore. La besogne faite, la chose que les hommes attendent d'elle accomplie, voilà qu'on lui demande de demeurer dans ce lit alors même qu'il est encore humide de leur chaleur torride.
Satine a les yeux qui s'élargissent comme une bille. Il ne la voit pas, elle lui tourne le dos, déjà prête à s'en retourner dans ses quartiers maintenant qu'elle a fait ce que l'on attendait d'elle. Il ne la voit pas, mais il s'étonnerait sans doute de l'expression de surprise choquée qui se peint désormais sur son joli visage, l'altère d'une ombre qui en fait vaciller la  beauté.
Reste encore. Elle en a les oreilles qui bourdonnent, la jeune enfant. Est-il possible qu'un homme désire d'elle davantage que son corps dénudé dans un aveu charnel ? Est-il possible que l'amour des contes de fée existe dans cet univers dénué d'enchantements et de rêveries ? Car elle n'a jamais rien connu d'autre, la petite poupée, que sa virginale destinée dans le lit souverain, d'où elle se retourne une fois la besogne accomplie. Jamais Römhen n'a laissé ses mots franchir ses lèvres.
Reste encore. La découverte d'une preuve de confiance accomplie, ses mains qui se mettent doucement à trembler, et la petite perle qui se retourne, encore toute chamboulée. Doucement, tendrement, ses membres font face à l'homme encore allongé et elle plonge ses yeux surpris dans les siens, tranquilles et calmes. Il ne peut s'imaginer le bouillonnement qu'il a fait naître en son sein, rien qu'en prononçant ces quatre syllabes magiques, ces onze lettres de feu, marquées désormais dans l'esprit de la poupée.

▬ Vraiment, tu souhaites que je reste ? Pourquoi ? Tu as encore envie ? Il va rire, sans doute, se moquer de son ingénuité. Elle ne comprend pas, la petite perle, est-ce vrai cela, de ne point comprendre lorsqu'un homme vous demande de rester ? Comme l'amour a été absent de sa vie, à la petite poupée, elle qui a perdu sa virginité dans le lit du roi, en accord avec son statut de maîtresse favorite, et qui n'a jamais connu nul autre homme en sa chaleureuse jeunesse.  
Elle reste là, plantée, droite comme un "i", le regard éperdu et les doigts tremblotants dont elle cache l'émoi derrière son dos. Elle a si peur qu'il se rit d'elle, ou bien qu'il profite encore de son corps par un nouveau désir pulsatile, et que l'espoir qui désormais s'anime dans son âme abîmée se retrouve mort-né.