Le soleil est encore haut dans le ciel en cette après-midi plutôt froide d’hiver à Belithrael. Une cape doublée grise sur les épaules, les cheveux sombres épars sur les épaules, une silhouette féminine déambule dans les rues animées de la ville au sud-est du continent. Une escarcelle de cuir portée en bandoulière contient quelques achats qu’elle a fait en chemin, profitant de cette période d’hivernage des navires pirates pour obtenir certaines denrées difficiles à acquérir en mer. Elle a voulu revenir à Belithrael officiellement pour des histoires d’objets rares et d’estimation de bijoux récupérés sur des cadavres, mais la vraie raison qui l’a attirée aussi profond à l’intérieur des terres, c’est qu’elle a une visite à honorer.
Après avoir demandé à droite et à gauche, la jeune femme de dix-neuf ans a trouvé la fosse commune où des cadavres ont été jetés les uns sur les autres et recouverts de chaux. Impossible de reconnaître qui est qui, encore moins envisageable de tirer les chairs putréfiées voire brûlées de son ancienne mentor, pendue deux ans plus tôt. Mais elle est quand même là, au bord de ce gouffre rempli de défunts, dont l’odeur suffirait à retourner l’estomac de tous ceux qui ne sont pas habitués au roulis marin. En vérifiant que personne ne l’observe et que personne ne s’attarde même sur sa silhouette, elle ouvre discrètement sa sacoche et commence à réaliser quelques libations discrètes en psalmodiant le nom de l’arnaqueuse suprême qui lui avait tant appris, Simul Limagre, et que tous avaient déjà oubliée. Une flasque de vin rouge goutte lentement dans la fosse commune, et quelques pièces de métal pleuvent dans les interstices, glissant jusqu’au fond de la fosse.

Une fois les honneurs rendus lentement, elle s’éloigne le cœur peut-être plus léger. Elle rejoint une taverne mal-famée, s’y installe et commence à noyer son deuil dans de la vieille pisse rance, c’est-à-dire de la bière coupée avec de l’eau probablement peu propre. Après une pinte sifflée un peu vite, elle se sent un peu plus joyeuse et accueille les squatteurs à sa table avec moins de morgue que d’habitude. Quand on lui demande son nom, le premier qui vient est Jessaline, hommage funeste aux premières arnaques montées avec Dame Limagre, et la suite des informations divulguées ne sont qu’un ramassis de fadaises qu’elle sort en feignant d’être déjà ivre, histoire que les cuistres baissent leur garde. Le reste est conforme aux tactiques inculquées avec le temps, et les leçons de combat qu’elle a commencé à suivre à bord du vaisseau pirate portent leurs fruits, lui permettant de se débarrasser de l’attention trop prononcée de ces braves (ou pas, justement) gens qu’elle avait fait davantage boire avant de leur fausser compagnie.
Elle zigzague dans les allées qui s’assombrissent avec les heures avançant, tant et si bien que cette ville qu’elle avait appris à connaître par cœur lui joue un mauvais tour et qu’elle se retrouve perdue dans un secteur non-identifié.

C’est bien sa veine, elle avait payé une chambre dans une auberge pour pouvoir y dormir sur ses deux oreilles, et maintenant la voilà infoutue de retrouver son chemin ?! Qu’à cela ne tienne, autant qu’elle essaye de trouver au moins un bâtiment connu : le reste lui reviendra en route, non ? C’est sur cette lancée que la brune recommence à marcher d’un pas qui se veut serein, mais les yeux vifs et alertes, et parvient enfin sur la sinistre place de grève, où pendent deux silhouettes masculines. « Toujours aussi charmant. » commente-t-elle pour elle-même, avant de tourner sur elle-même pour tâcher de repérer la bonne rue à emprunter.