Dionysie à l'écrin doré.

Le feu finit par porter ses fruits, ce qui est cher payé puisque, bien trop proche de l’immonde bête (on parle de la goule, hein, quand même pas de Johr, ce serait méchant), Dellsa se fait salement vriller les tympans. Loin d’avoir le temps de loucher sur n’importe quoi d’autre que ce monstre (oui oui, on est toujours sur la goule, suivez un peu), elle continue de lui secouer sa torche contre le museau, jusqu’à ce que, malgré le tumulte ambiant, elle perçoive l’ordre du mercenaire et obtempère par un saut de chat en arrière. Retombant sur ses pattes grâce à un miracle (elle aurait tout aussi bien pu se casser la gueule sur un corps), elle garde les yeux sur la créature cramoisie et ne les détourne pas  non plus lorsque le Corbeau croit intelligent de lui filer le bon rôle. (Enfin, le bon rôle, on parle du type qui ne lui refile que des plans à la con.)

- Fais sortir les gens, détrousse quelques cadavres si tu veux, je m’occupe du reste !
Encore une corvée donc, vis-à-vis de laquelle Dellsa n’a clairement aucune bonté d’âme qui l’y prédispose et pourrait la pousser à agir ainsi, ce qu’elle ne se gêne pas pour faire savoir à son compère par un « Tu m’as vue, oh ? » outré. Sous-entendu en quelques syllabes, tandis que ça aurait pris plus longtemps à le préciser clairement : elle n’a ni la gueule de l’emploi (elle laisse gaiement le job de sauveteur de l’extrême à ceux qui en veulent), ni la bêtise de se croire invincible face à des monstres terrestres, ni que cette chose saugrenue à faire. La priorité depuis le départ, malgré les quelques obstacles que les dieux se sont amusés à lancer sur sa route, reste de foutre le camp.
Autant dire que puisqu’il affirme s’occuper du reste, elle suppose qu’il est grand temps de prendre congé, sans perdre du temps à détrousser quiconque ou à sauver des vies. Elle a suffisamment fait, considère-t-elle.

Néanmoins elle n’est pas encore partie, s’étant détournée pour repérer l’issue la plus sûre dans ce chaos ambiant. Si bien que Johr peut se pointer à ses côtés, pour une promesse qui arrache un rire tonitruant à la furie : «  Je ferai savoir que Dellsa aux Mains Rouges est venue en aide à la noblesse de Gwelnaur. Cela te vaudra quelques élans de sympathie qui allègeront ton exécrable réputation. - Surtout pas ! », rugit-elle alors qu’il se barre déjà. Pourquoi un tel refus, me direz-vous ? Disons qu’on soumet plus aisément des frileuses victimes d’abordage quand ils nous pensent sans aucun scrupule. Manquerait plus qu’on commence à avoir une bonne opinion sur elle. Ça foutrait des terreurs nocturnes en l’air, ce genre de révélation.

Pas le temps de tergiverser, néanmoins. Puisque le chemin est vaguement dégagé et que Johr se charge de la seconde goule dans le secteur, Dellsa en profite pour foncer aux écuries, enfourcher à cru l’étalon qu’elle avait loué, et cravache dans la nuit pour quitter cette putain de cité, sans se retourner.