▬ somewhere, in a far far land.
« I know your very far away but,
come back to me, my sun and stars. »
C’est l’aube qui se lève. A pas feutrés, le chat sur les talons, le froissement de vêtements, le bois qui craque ; l’écho lointain du marché qui s’éveille.
“ - il faut faire vite, murmure-t-elle.
- les gardes changent dans deux minutes, impatiente”, la fustige-t-il.
Elle laisse échapper un grognement presque inaudible - sauf pour Lothar. Un bref sourire esquisse les lèvres du soldat, il presse le bras de la damoiselle. Ses cheveux blonds attachés, la cape épaisse, le sac en bandoulière, et ses yeux bleus ou l’orage gronde aussi violemment que sur les plaines d’Elenath. Sa bouche pincée, déterminée ; au-delà, cependant, il y lit une terreur dévorante, galopante, qui la pousse au-devant de tout ce qu’un Noble est capable. Mais elle n’est pas n’importe qui, Adélaïde, et il a appris à la suivre, à la faire rire, mais surtout, à l’aimer plus que sa propre liberté.
“Maintenant” glisse-t-il, et, en symbiose totale, ils se lèvent, sortent de l’Ombre, sans un bruit, et lors que les deux gardes laissent échapper un rire gras à la mention d’une certaine prostituée, ils détalent hors de la demeure des Norois.
Le souffle court, la sueur collant à leurs fronts et à leurs cheveux, ils s'infiltrent dans les écuries. A cette heure-ci, le palefrenier est tout juste réveillé.
“merde, j’ai oublié Ari”, chuchote-t-elle.
Il la fait taire d’un regard impérieux. Lui, il n’a pas oublié, et il a tout prévu. Le palefrenier, Ari, nourri les chevaux si tôt que les rayons du soleil n’ont pas encore atteint les toits de la cité. Il est déjà au travail ; mais sitôt le dernier cheval nourri, il s’en va, lui aussi, s’enquérir de son repas aux cuisines. C’est la fenêtre qu’ils attendaient.
L’un se précipite dans la sellerie, l’autre sort les deux bêtes de leurs boxes. Travaillant de concert, sans un son, si n’est les sabots des bêtes. Ce ne sont pas de vulgaires chevaux ; ils sont entraînés pour la course. Lothar doute qu’ils tiendront longtemps loin des écuries, mais ils n’ont pas d’autre options et ces deux-là sont les plus rapides coursiers des Norois - il n’ose même pas savoir quel prix ils valent.. (ou comment il va réussir à rester en selle dans une course effrénée)
“on est bons”
D’un même mouvement, ils se mettent en selle, et dans le tonnerre des sabots des coursiers, disparaissent hors de la cité ; les rayons du soleil ont enfin atteint les toits.
“putain, Lothar, reste avec moi”
Sa voix si fébrile, ses mains engluée par le sang, et toujours, cette terreur dans ses yeux. Doucement, sans prononcer un mot, il lève difficilement la main, effleure sa joue. D’un geste brusque, elle se dégage, fouille les fontes des selles, y trouve une vieille chemise. Elle la déchire, et retourne auprès de Lothar, les chutes du tissu dans les mains.
“arrête, murmure-t-il
-ta gueule! économise tes forces idiot!”
la réponse cinglante le fait sourire malgré la gravité de sa blessure. La flèche l’a atteint juste sous le cœur. Il n’est pas stupide, et il sait que rien, pas même la détermination inébranlable de sa belle, ne le sauvera. Elle le sait, il le sait, pourtant elle se refuse à la Vérité, s’obstine, s’entête et déborde de jurons que même une marâtre en pâlirait. Elle jure, jure, tant et si bien, qu’il finit par en sourire. Puis à ses jurons s’ajoutent les larmes, des imprécations qui feraient rougir de colère les Dieux, et le sang, le sang qui s’écoule sans que rien ne l’arrête.
“Alleria”
Elle bataille, ne l’écoute pas, il doit répéter son prénom, répéter encore.
“Alleria”
Sa voix n’est guère plus qu’un murmure. A bout de forces, lassée, elle s’arrête, l’écoute, le cœur au bord des lèvres, l’abysse si profond dans ses yeux, mais il esquisse un sourire. Elle ne sera jamais plus belle qu’à cet instant, les joues maculées de sang, de larmes et de boue, ses cheveux blonds d’ordinaire si bien tressés, désormais en bataille.
“ne les laisse pas te priver de ta liberté, ma douce.”
Elle frémit ; il sait qu’elle déteste ce surnom et pourtant elle ne peut s’empêcher d’esquisser un bref sourire.
“Jamais, Lothar.”
Il sourit, ce sourire qu’elle aime tant, et pourtant si teinté de douleur. Elle s’empare de sa main ; l’espace d’un moment, le temps s’arrête, et une conversation silencieuse passe.
Puis, un soupir, et, enfin, le sang s’arrête.
“ouais, ils la recherchent, regarde la prime, ça vaut l’coup
-le coup de se faire tuer, surtout.
-pff, c’est qu’une gueuse, ça s’fait.”
Les deux compères discutent à la taverne, sans se douter, une seule seconde, que l’objet de leur conversation les fixe avec un sourire en coin à peine dissimulé sous sa capuche.
Ainsi donc, mon géniteur a mis une prime sur ma tête. L’ironie de la situation lui arracherait presque un rire. La chasseuse de prime qui elle même se trouve mise à prix ? Ce ne sont pas ces deux énergumènes qui l’inquiète. des années ont passées depuis sa fuite. Pourquoi se réveillent-ils maintenant ?
Poussant un soupir, elle se lève de sa table, glisse un argent à l’aubergiste, jette un œil à l’affiche que les deux individus tiennent. Le portrait lui ressemble pourtant bien ; si on omet qu’elle porte ses cheveux blonds tressés. Elle hausse les épaules.
C’est une histoire pour un autre jour. Elle a un homme à trouver avant ça.