▬ somewhere, in a far far land.
« Il n'est pas de meilleur moyen de vaincre un ennemi que de s'en faire un ami. »
C’était la veille de son mariage.
Resplendissante dans sa robe, ses cheveux bruns noués parfois en d’étroites tresses, parfois laissés descendre dans son dos en une cascade de boucles. Elle se reconnais à peine, ainsi vêtue. Deux coups frappés à la porte détournent son attention. Louis entre, un merveilleux sourire sur ses lèvres de chevalier. Il s’approche, la contemple. Frère et sœur se serrent dans leurs bras.
« Je suis fier de toi. » murmure-t-il, tout proche de son oreille. Louis, c’est son petit frère, pourtant, il a toujours agit comme si, c’était lui le grand frère. Elle sourit. Valeriane sait à quel point ces mots cachent tant de choses, tant de non-dits, qu’ils n’ont pas besoin de se dire. Il est fier qu’elle se soit imposée, fier qu’elle reprenne d’elle-même les affaires familiales que lui ne voulait pas. Sa déclaration réchauffe le cœur de Valeriane. Il la regarde dans les yeux.
« Doute, petite sœur, c’est ce qui te sauvera. » Elle ne peut rien lui cacher, il lit en elle avec une facilité qui la désarçonnerait à n’importe quel instant. Elle ouvre la bouche avec une inspiration, prête à répondre de cette tirade énigmatique. Il l’arrête de deux doigts sur ses lèvres.
« Nos invités t’attendent, Valeriane. » Il s’éclipse, la laissant seule avec le tourbillon de pensées qu’a une jeune fiancée la veille de son mariage.
***
Ariel a une moue désapprobatrice.
«Ce n’est pas ainsi que je voyais les choses, Valeriane. »
Elle fronce les sourcils, se lève de sa chaise, les mains de part et d’autre du bureau.
«Et comment voyait-tu les choses ?»
Il hésite, de peur de regretter ses paroles. Patiemment, elle attends, calmement, qu’il s’explique. Il admire ce calme, alors qu’il devrait craindre la tempête qui gronde dans le lointain. Ce qu’il s’apprête à lui dire, elle n’aimera pas.
« Eh bien, je pensais que tu aurais délégué... Enfin, ce n’est pas une place pour une femme, enceinte qui plus est. »
Le silence devient si lourd que même les oiseaux ont fui la cour. Valeriane se redresse. Sa réserve légendaire est mise à l’épreuve, tant son sang bouillonne dans ses veines. Elle manque de peu de perdre son calme. Mais s’énerver ne les mènera nul part. Et plus encore que la colère, c’est la déception qui transperce son cœur. L’orage tourne court, et lorsqu’elle lève les yeux vers Ariel :
« Tu pensais que j’allais rester à la maison, pendant que TU gérerais les affaires de MON entreprise ? »
Elle souffle un coup ; jamais encore, elle n’avait été si près de se faire renverser par la Colère brute qui agitait son esprit.
« Je ne suis pas malade, Ariel, mais enceinte, j’attends TON enfant, il serait bon de te le rappeler. Cela ne fait pas de moi une incapable à gérer mes affaires.
-Ce n’est pas...
- Je sais très bien ce que tu as voulu dire, il en est hors de question. Tu savais dans quoi tu t’engageais. »
Elle le plante là, quittant le bureau, avec toute la dignité qu’une femme enceinte jusqu’aux dents le pouvait.
Sa déception est d’autant plus déchirante qu’il s’agit de l’homme qu’elle a choisit, d’Ariel, du si gentil Ariel. D’où tient-il des idées pareilles ? Trois ans en arrière, il ne lui aurait jamais imposé quoique ce soit. La dispute lui laisse un goût amer dans la bouche.
Ariel la rattrape dans la cour.
« Tu sais que ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. »
Sa voix est anormalement dure. Elle le fixe de ses yeux bleus perçants.
« Louis serait d’accord..
-Ne t’avise pas de dire ce que mon frère penserait ou non, cingle-t-elle, incapable de retenir sa colère à l’évocation de Louis. Jamais il ne serait d’accord, continue-t-elle, ses yeux ayant tourné à la tempête. Maintenant, si tu penses que je suis si empotée que cela, tu n’as qu’à livrer les Ardenais toi-même. »
Elle se dégage de son étreinte, et tourne les talons.
Ce soir-là, elle perdit l’enfant.
Deux semaines plus tard, c’est Ariel qu’elle perdit. Son corps fut retrouvé criblé de flèches, à l’arrière de la charrette, avec les deux gardes, et le contenu précieux, évaporé, volé.
Elle encaissa, n’en parla plus, et se noya dans le travail.
***
« Lève ton coude, vers l’arrière. Oui. Comme ça. »
Louis hoche la tête.
« Quand tu est prête, relâche la hampe et la corde. »
Valeriane s’éxecute. La flèche se fiche au sol, à deux pas de son pied. Visiblement, elle a manqué une étape. Le rire de son frère l’irrite.
« Recommence, et cette fois, tends la corde à t’en casser le bras. »
Soupirant, elle encoche la flèche qui a faillit la délester de son pied, vise, souffle un grand coup : à l’expiration complète, elle lâche la corde. Et la flèche, de filer droit vers la cible. Elle fait un bruit mat lorsqu’elle se plante au milieu de la cible. Louis, une expression d’incrédulité peinte sur le visage, regarde alternativement sa sœur et la cible. Sa béatitude déclenche chez Valeriane un fou rire incontrôlable.
« On dirait que tu vient de voir un miracle, s’esclaffe-t-elle.
- Tu seras la première à avoir réussi à planter la flèche au milieu, juste après avoir tenté de se la planter dans le pied. »
Ils éclatent de rire de concert. Voilà bien longtemps que Louis n’avait pas entendu sa sœur rire ainsi.